PHYBRAZ I

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Phybraz l'observait se répandre en excuses inutiles. À quoi cela servait-il ? A rien. Cependant ne pas y sacrifier revenait à faire acte de rébellion sourde en justifiant sa défaite. L'Empire n'avait cure des perdants et ce jour là Bastian avait malheureusement failli à sa tâche ; en tant que Duc de Wimphrey il aurait dû vaincre. Mais voilà. Les informations semblaient avoir été sciemment tronquées, les forces ennemies mal évaluées et pour couronner le tout le départ rapide pour le front l'avait privé d'une réelle construction tactique. 

Ce n'était pas faute de l'avoir prévenu. Recherchant à tous prix la gloire et le renom, comme tous ceux assis autour de cette table du reste, il s'était précipité. Et en courant trop vite il s'était lamentablement heurté à un mur. Il demeurait cependant un homme de valeur, un garçon intelligent et réfléchi de nature. Que s'était-il passé ? Mystère... Le plaidoyer touchant à sa fin elle ne put s'empêcher de se jeter sur l'occasion. Quelle aubaine. 

Comme un rapace elle fondait sur la moindre proie. Aisling lui demanda de façon venimeuse comment il avait pu ainsi déshonorer tout  l'Empire? Comment avec la flotte déployée, allouée par le très saint Empire Victorien, avait-il pu ainsi se faire ridiculiser ? Parnéa ne brillait ni par sa taille ni par le courage de son armée. Alors comment ? C'était là toute la question, car en temps normal, Bastian s'en serait sorti haut la main. Mais cela Aisling ne semblait en avoir cure occupée qu'elle était à le foudroyer.

Puis vint le tour de Gwynford. Allié éternel d'Aisling, Phybraz était persuadé qu'il nourrissait pour elle d'autres sentiments que ceux dévolus aux simples alliances politiques. Il ne se démarquait guère par ses lumières mais s'avérait un chef de guerre puissant et très respecté. Nul doute que lui aurait vaincu ou périt... Comme à son habitude le taciturne Eoghan se contentait d'écouter, la main confortablement calée contre sa joue dans une attitude de profond ennui. Il ne s'exprimait que peu mais excellait dans ces jeux de pouvoir... A n'en pas douter s'il fallait redouter quelqu'un, c'était lui. 

Sa sombre humeur n'avait d'égale que sa légendaire beauté. Quand Gwynford eut fini d'évoquer ce qu'il aurait certainement réalisé comme hauts faits d'arme s'il avait pu commander cette flotte, Phybraz laissa un temps s'écouler. Que le vide s'installe et que Bastian sente le désarroi de la solitude s'emparer de lui. Fort fier à l'habitude, le laisser ainsi démuni ne pouvait que s'avérer profitable à sa stratégie à venir. Puis demandant la parole il introduisit sa défense. Ainsi l'on ne pouvait penser qu'il prenait son parti par affinité personnelle. D'autant qu'effectivement, ce n'était nullement le cas. Certes le Duc Bastian de Wimphrey avait échoué. Certes l'Empire se voyait ainsi mis en échec pour une bataille, non une guerre, par un état dont l'influence dérisoire ne pourrait jamais engendrer un feu de rébellion. 

Mais ! Car il y avait un mais. Au lieu de s'insurger et de vociférer à la Chambre Suprême entre princes victoriens il valait mieux conserver son énergie pour comprendre comment un état dont les forces et les tactiques de combat étaient reconnues comme médiocres s'était débrouillé pour les affiner et ce, en un temps record ? Là était le vrai problème. Ce faisant pourquoi les informations délivrées au Duc de Wimphrey n'avaient-elles pas été corrigées en fonction de cet état de fait ? Compte tenu de l'efficacité des services de renseignement et des espions de l'Empire il paraissait tout à fait impensable que l'on ignora cela... 

Donc d'une part quelqu'un ou un état quelconque aidait Parnéa, d'autre part au sein même de Victoria des personnes mal intentionnées s'étaient montrées coupables de trahison en taisant des informations capitales pour l'issue de cette bataille. Oui Bastian s'avérait coupable d'avoir failli à la réputation de l'Empire mais il incombait aujourd'hui d'en trouver les causes réelles... Voilà ce qui arrivait lorsque l'on privilégiait toujours les armes au dialogue.

Que l'Empire s'étende bien sûr, mais se battre ne constituait pas la seule façon de briller et de vaincre. Eoghan avait souri, Gwynford regardait alternativement William et Aisling, quand à cette dernière elle rongeait son frein en crispant ses jolis doigts blancs sur sa plume. William s'exprima du haut de sa voix dominatrice et soutint Phybraz. Par ailleurs il regretta que ses conseillers ne soient pas tous aussi éclairés que ce dernier. Bastian serait dispensé de présence à la Chambre Suprême pendant quelques temps, il pourrait ainsi peser le poids de sa défaite. Phybraz aurait à charge d'enquêter sur ces récents événements et bénéficierait pour cela de toute latitude. 

La séance était levée. Ils se levèrent comme un seul homme quand leur Empereur quitta la salle. Puis ils en firent autant. Bastian ne tarda pas à rejoindre son avocat providentiel. Il s'enquit de savoir comment il pourrait lui rendre la pareille ? Il lui était redevable. Il n'écopait que d'une légère mise à pied. Il s'était imaginé le pire... Et ce n'était guère cette fanatique de Duchesse de Cordwalls qui lui aurait tendue la main. Voilà. A présent Bastian serait son allié. Au pire pour quelques temps au mieux pour toujours. Oui c'était un calcul mais après tout, la politique ce n'était guère autre chose qu'une suite logique de calculs. Et puis il agissait d'abord pour la pérennité de l'Empire. Si ces incapables se rapprochaient du trône quel destin s'offrait à Victoria ? L'état gonflait, enflait, alimenté par ses victoires comme une oie que l'on gave. Il finirait immanquablement par imploser. Si ces ignorants ne le concevaient pas, lui s'en rendait très bien compte. Il en allait de son devoir, il devait prendre ses responsabilités...

En quittant la salle vitrée qui abritait la Chambre, il se vit accompagné par Bastian. Un homme habillé de bleu nuit et d'Azurin, couleurs de la maison Wimphrey, les intercepta. Il chuchota quelque chose à l'oreille de Bastian et disparut en épousant les ombres. Bastian parut fort courroucé mais en même temps assez perdu. Il prit sa respiration et dit tout de go : « Parnéa est tombée. Les armées victoriennes ont rasé le port de la capitale. Malgré le cessez-le-feu que j'ai obtenu, la princesse Cassandra a vaincu et a annexé le pays. Parnéa est désormais la quinzième province de l'Empire ! » Folie... Alors qu'il s'était illustré devant l'Empereur par ses capacités d'analyse et sa sagesse voilà que la prétendante au trône ramenait une énième province ! Était-il le seul à anticiper le futur de l'Empire sur plus de vingt années ? Le poids des conservateurs à la Cuve grandirait encore. Soucieux il invita son ami à le suivre. Tout est à refaire et les problèmes ne font que commencer, pensa-t-il.


Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant