Derrière lui, Neil. Il abandonnait son ami qui affrontait un adversaire incroyablement fort. Il le savait. Mais il fallait agir et de tous, le Faucon victorien était le seul à pouvoir contenir le dénommé Log. Ils couraient en direction des hauteurs de l'île. Prenant les escaliers immenses amenant au plateau de la Faculté Universelle il put, une fois tout au sommet, brosser un tableau surréaliste de la situation. Kimôto, la ville sacrée des Magistères, haut lieu de la science du Pouvoir, centre mondial du savoir subissait les assauts répétés d'une coalition improbable à laquelle participait le Pays de Rokku. Était apparu aux yeux du monde un homme nouveau, une organisation parallèle en marge des autres nations : Justice ! Et quelle organisation. Des terroristes se faisant passer pour des héros, rien de moins. Au loin sur la plage, les quelques navires obscurs de Justice et ceux de Kimôto. Les aéronefs aux couleurs sombres affrontaient encore ceux aux couleurs du Pacifique. Les Magistères ne possédaient pas d'armée propre, ni de marine, ni de forces aériennes dans l'île. A peine quelques unités en faction. Mais qui aurait pensé que l'île serait attaquée ? Surtout à cette époque ? Pourtant la véritable armée paciféenne ne tarderait pas, et les belligérants devaient le savoir parfaitement. Heureusement la puissance écrasante des forces victoriennes, même en infériorité numérique, avait suffi à faire barrage. Au moins momentanément. Les maîtres du Pouvoir s'occupaient de contenir les forces dans le centre et sur le plateau de l'île. Mais tout de même. Sur le bleu immense et infini qui s'étalait à perte de vue, de nombreuses tâches noirâtres, azurées et immaculées semblaient se mélanger dans un épais nuage de fumée et le son dispersé des tirs de vaisseau embrasait l'univers entier. Pareille esquisse jurait avec l'immortalité spirituelle des Magistères. Il s'agissait pourtant de la réalité la plus fidèle. Le voilà dans les hauteurs. Devant lui l'auvent splendide de la faculté, et ses ailes de platine. A sa droite en contre-bas, la Bibliothèque Universelle et la forêt des dalles. A sa gauche la Lance des dieux. Les combats y étaient moins nombreux mais tout aussi farouches.
Il ordonna qu'on le suivît pour atteindre le Temple de l'Eau quand il fut saisi de stupeur. Devant lui se livraient à une lutte acharnée des prêtres et des hommes vêtus de manteaux clairs parsemés de nuages foncés et d'une lune noire. Le cardinal d'Auyn et ses hommes. Il reconnut le preux et indéracinable Elnath de Mégres. La Dame de Fer attendait protégée par une demi-douzaine des soldats de l'Ordre de l'Aurore. Elle semblait brûler d'impatience. Malgré le talent d'Elnath le nombre parlait pour leurs ennemis. Phybraz ordonna qu'on les aide : « Prenez les par derrière. Nous allons les broyer dans notre étau. Le Cardinal d'Auyn ne doit pas mourir ! » Comme un homme les victoriens se ruèrent, ordonnés et méticuleux. Les hommes aux nuages ne sachant pas ce qui se passait furent percés de dos. En quelques minutes l'assaut mené par Phybraz détruisit leur assise et leur avant fut écrasé par les prêtres-soldats de l'Aurore. Elnath s'approcha : « Ambassadeur D'Arlénon. Je vous remercie au nom du Cardinal et de l'Ordre de l'Aurore. Nous n'oublierons pas ce que nous vous devons. » Phybraz répondit que c'était son devoir. Ils partageaient la même foi après tout. Sophia les alerta. « Nous devons faire vite. » En quelques mots elle dévoila à Phybraz ce qu'il avait pressenti. Faith, l'incendie, le passé, le plan d'Omi et l'endroit où ils se rendaient. A l'écoute de ces informations le pire restait à craindre. Pourtant être au fait de ce qui se tramait, bénéficier d'informations réelles et substantielles contentait le Duc. En recoupant ce qu'il savait de sa discussion récente avec Log, de l'improbable déclaration de Saviour, tout s'illuminait. Ce Faith devait à n'en pas douter avoir tout manigancé. En tous cas devait-il tirer les ficelles. Pourtant cela ne révélait pas à Phybraz si les groupes travaillaient de concert ou non et dans quelle mesure l'un ou l'autre prédominait. Sophia murmura inquiète : « Il n'y a aucune alternative mon cher Duc. Vous ne savez pas de qui il s'agit. Personne ne peut rivaliser avec lui. Pas même les plus hauts Magistères. Seuls... »
Elnath coupa. « Partons. Duc nous aiderez-vous ? » Phybraz fit semblant de ne pas s'apercevoir qu'on lui cachait quelque chose : « Victoria doit sauvegarder l'équilibre de Cétherlence, tout comme l'Ordre de l'Aurore. Il en est de notre devoir. Nous allons vous prêter main forte ! » Ainsi le groupe avança en trombe vers les Ailes du Dragon, petit temple situé au Sud-Ouest de l'île, sur les hauteurs. Arriveraient-ils à temps pour espérer aider les Magistères et protéger les jeunes apprentis ? Si ce que Sophia lui avait révélé s'avérait exact dans son entièreté alors ce Faith était un véritable monstre. Un esprit d'une froideur et d'une cruauté sans égal. Même Victor le Ier, le terrible fondateur de la dynastie victorienne, surnommé le lion sanguinaire à cause de sa soif de sang et les horreurs de guerre qu'on lui imputait, ne se serait jamais attaqué à des enfants. L'honneur l'en empêchait. Mais Faith... Manifestement non. Un tout autre esprit animait cet homme-là. Un esprit qui semblait effrayer la puissante Dame de Fer. Les voilà ! Les Ailes du Dragon s'étalaient devant ses yeux incrédules. L'on aurait dit une version plus humble du haut-vent de la Faculté Universelle. A ceci près que le temple s'animait de bois uniquement. Et, contrairement à toutes les constructions réalisées dans le même matériau dans l'île, ce bois-là n'était pas blanc. Un bois marron et brun, aux reflets rougeâtres. Une autre beauté, une autre façon de se recueillir pensa Phybraz. Même en pleins combats il trouvait le moyen de se laisser aller à sa sensible nature de philosophe. Mais ses considérations furent rapidement ramenées à une réalité beaucoup moins douce. Sous le haut-vent des Magistères, des moines et la garde de l'île. Ils affrontaient tout un bataillon composé de soldats de Rokku et d'hommes arborant manteaux de nuit parsemés de nuages. Et cette lune noire. Sa lugubre présence n'en finissait de distiller dans tous ces évènements le filtre odieux de la calamité. En amont des marches du Temple, des enfants. Âgés approximativement de cinq à quinze ans aurait-on dit. Phybraz se surprit à penser tout haut: «De jeunes apprentis et des adolescents... Ce que le Pacifique des Magistères possède de plus précieux : son futur. »
C'était donc cela. Là les escarmouches s'avéraient entières, totales. Il semblait clair qu'ils en voulaient aux petits, Omi ne s'y était pas trompé. C'était le cœur de ce monde qu'il fallait protéger : le printemps de la vie. Tout à coup Phybraz fut lui aussi prit d'une fureur qu'il ne parvenait à contenir. Quel être abject pouvait ainsi commanditer le meurtre de jeunes enfants ? Quelle âme torturée osait imaginer un salut possible avec sur les mains le sang de la jeunesse ? Impardonnable, inacceptable. Il fallait mettre hors d'état de nuire de tels déments. Et tout ce qui y était rattaché ! Justice, Pays de Rokku, Faith ! Tous ceux qui de près ou de loin tremperaient dans cet ignoble carnage projeté devraient en répondre. Mais sur ses flancs certains perdaient déjà leur sang-froid. Sophia tétanisée en premier lieu, venait de perdre le peu d'esprit qu'elle avait jusque là lutté pour contenir. Tirant de son fourreau Providence, l'épée de vérité de la Dame de fer, elle découpa tout ce qui s'apparentait à un ennemi autour d'elle. Quelle violence... Et quelle puissance. Voilà donc la légendaire Sophia Justinia d'Auyn, le Cardinal de l'Aurore. Il connaissait plus ou moins des histoires sur son compte. « Mythes que tout cela. » Avait-il toujours cru. En face de lui tout lui prouvait que non. Il se disait dans le monde que Providence jugeait tout ce qu'elle tranchait. Juste avec les justes, terribles avec le mal. Et là vraisemblablement le mal existait bel et bien. Chacun des coups d'épée de Sophia faisait trembler le sol. Emportant un nombre appréciable de membres détachés ou de corps. Dans son regard perdu une aliénation étrange s'était installée. Que fuyait-elle ? Que cherchait-elle à éviter pour développer tant d'agressivité ? Phybraz n'en revenait pas. Tout de même. Tant de puissance dissimulée tout ce temps ? Le Cardinal d'Auyn présentait toutes les caractéristiques d'une grande guerrière. Pourtant plus profondément... Que percevait-il qu'il ne pouvait nommer ? Ces mouvements fluides et parfaits, cette maîtrise de l'espace, la force de manier à une main une épée à double tranchant qui aurait nécessité de s'y prendre à deux ? Sont-ce là les capacités d'un Cardinal ? Encore une fois tout lui prouvait que non...
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...