ELEANOR III

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Nadia se remémorait les rites et les traditions du pays de l'Ougor. Que de souvenirs, que de moments passés dans les steppes grises et vertes battues par les vents de cette région presque oubliée par les grandes nations. Bloquée entre les monts sombres du Pays de Jun limitrophe et le lit sinueux du fleuve émeraude de Démétéria, le Botzepe, cette langue de terre encore indépendante abritait sur son herbe fraiche mais centenaire le peuple de Nadia : Les Loups du vent. Nadia rêvait un peu. Mais elle fut rapidement ramenée à la réalité. Une réalité brutale et impitoyable, celle des combats de l'Épreuve du Pacifique. Son nom brillait d'un noir d'encre, il flottait au-dessus de ce qu'il restait de cette arène qui, quelques temps plus tôt, avait été blanchâtre... Très vite elle remarqua l'autre nom. Celui qu'elle devrait affronter. Ou plutôt le possesseur de ce patronyme. « Sân ». Sân... Qui était-ce ? La voilà plus bas. Autour d'elle ces gens. Tous ces gens... Qui du Pays de Jun, qui de Victoria, de Menez Draguan ou du Pacifique. Qui se battait vraiment là ? Quelles étaient leur raisons ? Sân arriva. De même gabarit, à peu de choses prêt, les cheveux sombres huileux développés en deux chignons et le regard profond, intelligent. Ses tissus vert-pâle flottaient non sans grâce dans l'espace, protégeant des pantalons clairs et légèrement pouffant. Une sorte d'oiseau rouge, clair et transparent à trois pattes s'épanouissait brodé sur sa poitrine. Curieux, pensa Nadia. Elle remarqua aussi que cette dernière possédait un nombre incalculable de fines aiguilles plantée dans les chignons. Nadia caressa instinctivement la peau de loup qui lui protégeait les épaules et attendit. Bien sûr l'ordre provenant des hauteurs ne se fit pas attendre. Pourtant ni l'une ni l'autre n'adopta de garde. Il y avait tant eu de combats... Il semblait à Nadia que, quelque part, ni l'une ni l'autre ne voulaient verser de sang inutilement. Pourtant pas de fin, pas de réussite, pas d'auréole sans victoire. Et sans victoire à quoi servait cette Épreuve légendaire ?

Un visage. Celui de son père, le chef de son clan, le fer de lance des loups du vent. Son agonie. Puis le pays de L'Ougor. Son peuple, ses responsabilités, son devoir. Elle s'adressa à son adversaire : « Sân ! Je ne te veux aucun mal. Mais sache que je ne retiendrai aucun de mes coups. Je ne peux me permettre de perdre. Je suppose que toi non plus, et tu possèdes certainement des raisons aussi justes que les miennes. Pourtant j'ose te demander d'abandonner. Je ne veux pas faire couler le sang inutilement. » Sân fut interloquée par cette requête. Elle se reprit très vite pourtant : « Comme tu le dis, chère Nadia, j'ai moi aussi mes raisons. Je n'abandonnerai pas. » Nadia s'y attendait... Qui arriverait à ce niveau-là de cette effroyable compétition pour abandonner ? Personne. Elle moins que quiconque. Elle souffla de dépit et mit la main sur son tendraïr. « Puisqu'il le faut... » Ce sabre recourbé, long et plus coupant qu'un rasoir elle l'avait hérité de son propre père : son sang. Sa ténébreuse robe longue, fendue sur les hanches pour pouvoir se battre, ses longs cheveux noirs finement dessinés, la rougeur de ses lèvres pulpeuses et ses yeux d'un bleu de torrent oublié... Nadia décidément captivait par sa seule présence n'importe qui, hommes comme femmes. Le pectoral en forme de loup hurlant sur sa poitrine brillait de métal forgé. Eleanor semblait en admiration totale. Elle trouvait en Nadia ce qu'elle avait toujours cherché à devenir. Sân cependant ne paressait pas le moins du monde impressionnée. Elle froissa de son bras droit ses tissus verts souples  transparents. Sans adopter une quelconque garde elle se contenta de joindre ses deux mains dans une forme peu habituelle.

Les paumes les unes contre les autres et les doigts enchevêtrés bizarrement. Elle ferma les yeux et psalmodia quelques étranges vêpres. Nadia eut à peine le temps de reculer et de percevoir quelque chose. Dans l'espace rien ne changea. Pourtant la louve semblait persuadée d'avoir ressenti une différence autour de son adversaire. Elle ne put s'empêcher de demander : « Qu'as-tu fait ? » Silence... Sân l'observait. « Tu m'as quelque peu manqué de respect tout à l'heure. Penses-tu que ma détermination soit assez faible pour abandonner sur une simple requête de mon adversaire ? Qui crois-tu que je sois ? » Effectivement. Nadia se remémora le combat du dénommé et puissant Toji. Il portait les mêmes tissus amples mais de couleur beaucoup plus sombre. Si ce garçon s'avérait effectivement être le descendant de leur souverain, cette fille devait de près ou de loin être apparentée également au pouvoir en place. « Elle aussi soutient le poids d'un peuple... » Nadia sourit pour elle-même. L'Épreuve de cette ère regroupait-elle tous les enfants des grands de ce monde ? Ou alors était-ce une réalité que l'on apprenait douloureusement en se confrontant aux autres nations ? Quoi qu'il en fut, et à cause de cela, peu de gens renonceraient à leurs objectifs. Il fallait les respecter pour cela. Nadia se roidit quand elle sentit une chaleur particulière lui lécher la pointe des pieds. Elle recula. Puis elle se souvint d'autres combats. Toji maîtrisait l'espace grâce à une arme étonnante, ce fléau et ces chaînes. Le jeune Sôra lui usait de cette bassine de cuivre effrayante et du quartz qui en sortait.... « Des armes de longue portée. Des combattants à distance. Sauf pour l'autre aux étoffes blanches... Mais il n'a pas utilisé d'armes.» Ces gens du pays de Rokku se battent de loin manifestement.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant