Quel choc ! Alors qu'il se pensait libre de choix comme de décisions il avait en rentrant croisé la route de cet homme. Les mots « force » ou « charisme » ne suffisaient pas à définir l'aura qui se dégageait de lui. Un simple fait divers... Un garçon se faisait battre par un molosse dans l'une des ruelles de Phoexia. À Menez Draguan les enfants appartenaient jusqu'à leur maturité à leurs parents... Mais la loi autorisait à se rebeller si l'on se montrait capable de tenir tête au pouvoir parental. La chose se voulait rare, très rare. Le pauvre avait bien lutté quelques secondes, témoignant ainsi d'une habitude éprouvée pour les échauffourées, mais l'individu qui devait être son père cognait si bien, si précisément et jouissait d'une telle carrure ! Disproportionnés ses bras semblaient aussi gros que son corps et ses jambes particulièrement courtes dans leur robustesse. Chacun de ses coups de poing arrachait un râle de douleur alors même qu'ils étaient parés. Rolann s'arrêta derechef. Comment passer sans manquer être dégagé par ces troncs qui se voulaient des avant-bras ? Irneh n'avait pas tardé, de même qu'Iperio. « C'est Ikros le pêcheur. Son fils a encore dû faire des siennes. Il paraît qu'il passe son temps à boire et à fouiller les bordels au lieu d'honorer le prêt que son père a souscrit pour lui payer l'école militaire. Quel gâchis... A sa place je réagirais de même. »
Quel gâchis, certainement, mais à ce train-là le père prendrait à coup sûr et l'argent et la vie du fils ! Cela ne semblait pas gêner outre mesure les passants ou les badauds figés devant la scène. D'ailleurs Rolann lisait dans leur prunelles de feu un certain plaisir, en tous cas une excitation évidente. Un bruit sourd craquelé. Le jeune homme s'écroulait sur des tonneaux en bois, fracassant par la même les jointures. Du vin en coula abondamment souillant par là même ses habits noirs et le sol clair presque blanc de soleil. Les yeux rougis par des larmes douloureuses il s'empressa de se relever. Ce n'était plus de la peur qui habitait son regard mais une absolue terreur: il allait mourir. Il regarda alentours, convaincu de ne trouver aucune d'aide et décida d'attaquer avant de sombrer. Perdu pour perdu autant agir. Il toucha son géniteur au visage et crut quelques secondes avoir fait mouche. Mais rien. Cette erreur engendra une douleur aiguë, tranchante comme un silex. Son foie sembla exploser sous le coup qui lui brisait les côtes. Il s'arracha et tenta de se relever pour la seconde fois. Sa vue s'obscurcissait, son regard livide se voilait. Il cracha du sang en toussant. Son père s'avança, pas le moins du monde ébranlé.
Encore une fois il lança un regard circulaire implorant une quelconque pitié, tout du moins de l'aide. Rolann n'y tenait plus. Ce n'était pas son monde, pas ses règles, mais pouvait-on sciemment laisser ce garçon trépasser? Dut-il payer ses fautes il fallait qu'il soit au moins jugé et... Il sentit son corps avancer tout seul dans la foule pour porter secours au malheureux. Il n'aurait aucune chance face à ce monstre, entraînement au dojo ou pas, il n'avait jamais vu cela. Ses seules alternatives résidaient dans la discussion ou dans la vitesse d'une fuite réfléchie. Mais au moment où il crut opportun de s'adresser au musculeux pêcheur une ombre apparut au milieu du cercle créé par la foule. Il vit l'inconcevable. Un homme de haute sature, puissant et vif comme un félin fit face au monstrueux père. Lequel le dépassait tout de même de deux bonnes têtes du haut de son crâne dépourvu de cheveux. Ils se fixèrent un instant et la foule murmura. Le nouvel arrivant commanda de cesser immédiatement toute violence dans les rues de Phoexia. « Calmez-vous et ramenez votre fils ».
Le ton se voulait dur, cinglant, impétueux. Le pêcheur devait être atteint par ce genre de colère qui bout depuis trop longtemps, trop ravalée et mêlée à la détresse du sentiment de trahison. Il répondit négativement du chef et avança vers son engeance. Son adversaire répéta ses menaces mais rien n'y fit. Alors comme par magie il se déplaça vers le pachyderme et l'on eut dit qu'il glissait. Lui tenant fermement le membre supérieur d'une main, qui semblait en comparaison ridiculement petite compte tenu de la masse de l'avant-bras, il appuya et un jet de sang siffla du bras en miette. Un cri sourd de douleur. Puis il glissa encore plus prêt et décocha une volée de trois coups d'une précision chirurgicale qui l'un dans les côtes, l'autre sous l'aisselle enfin le dernier au plexus terrassèrent le géant. Ce dernier sombra dans la poussière. Le fils revenait à lui et se relevant, se rapprocha de son père. Ce dernier jurait par tous les diables que ce n'était pas fini, qu'il regretterait son comportement de fils indigne. Le dit fils asséna à son propre père un coup de pied dans le flan et commença à l'insulter de la manière la plus vile qui soit, oubliant de remercier son sauveur. Ce dernier commanda pour la troisième fois que le calme devait régner dans les rues de Phoexia.
VOUS LISEZ
Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...