Le Pacte du Roi Livre I

CASSANDRA

Elle observait depuis une bonne minute cet homme qui lui faisait face. Sa prestance, sa superbe, sa grâce, son caractère profondément inconnu. Ces beaux cheveux châtains bouclés abondants et arrogants. Ce visage masqué et cet uniforme. Un général d'armée aux couleurs rebelles, sombres et sans patrie. Et cette épée noire à la garde rouge de sang qui ne cessait de l'attaquer, de la faire reculer dans ses retranchements. Jeffrey n'était pas loin. Pourtant il ne pouvait l'aider. Elle ne l'aurait toléré. Et puis... Ils ne pouvaient se défaire de leurs opposants elle le voyait fort bien. Elle notait une aptitude au combat, au maniement de l'épée fort développée chez ces terroristes. Qui avait bien pu leur enseigner un art aussi proche de celui des Chevaliers eux-mêmes ? Mais déjà cette rapière cinglante. La pointe visa son front, elle n'eut que le temps de parer, d'effectuer un habile recul aidé de sa main sur le sol et de se remettre en garde. Quel adversaire. Mourir ici ne serait peut-être pas si mal. Et puis les attaches, son cœur. Elle pensa à Eleanor, sa sœur bien aimée. Il était hors de question de l'abandonner. De même que l'Empire. Ces hommes en voulaient à Victoria. Il était de son devoir de les arrêter. Enfin, malgré leurs inimités, elle devait aussi défendre cette île. Les Magistères les avait accueillis, et une princesse impériale ne saurait laisser impunis les êtres odieux qui osaient attaquer ses hôtes. Elle s'adressa à son opposant : « Tu n'as pas honte infâme pourceau.... ? User de procédés aussi lâches, dénués d'honneur ! Que cherchez-vous ? » Saviour dût se sentir vexé. Il accéléra, la gratifia d'une frappe de la paume ouverte au niveau du menton et d'un coup de pied dans le sternum. Puis il dit de sa voix non identifiable d'oracle : « L'honneur tu dis ? L'honneur... L'Empire ose donner des leçons ? La famille victorienne ose me dire ce que je dois faire ? » Nouvel enchaînement. Cassandra évita de justesse la frappe circulaire du pied qui visait sa tempe. « Que sais-tu de l'honneur ? As-tu la moindre idée de ce que signifient réellement le mérite et la dignité ? » 

L'échange à l'épée recommença. Cassandra sentait une force hors du commun chez ce Saviour. Une puissance liée à sa volonté plus qu'à tout autre chose. Les frappes droites en estoc devenaient de plus en plus rapides, de plus en plus vives. Elle comprit tout à coup qu'elle mourrait si elle ne réagissait pas prestement. Alors elle recula et apostropha son assaillant. « Je suis l'héritière du plus grand Empire de ce monde. J'ai vécu toute ma vie dans le respect et l'application du code de la chevalerie. Ne me parle pas d'honneur ! » Il fallait gagner du temps. Trouver une façon de le vaincre. Et ce sujet semblait toucher son agresseur. En tous cas assez pour qu'il en parle... Il se stoppa net. Plantant son épée dans le sable il l'observa un moment. Puis il prit une pose assez extravagante, sa main droite lui couvrant à moitié le visage : « Tu cherches à me flouer princesse... Tu crois sans doute que je ne me rends pas compte que tu essaies de gagner un temps précieux? Ceci dit c'est inutile. » Il botta un amas de sable devant lui et les particules fines éclaboussèrent Cassandra. Le temps qu'elle se protège il apparaissait au travers du sable, comme un acteur perce le rideau de la scène, et lui asséna un violent coup de tête, suivi d'un coup de genou puis d'une ruade du pied droit. Cassandra ne put éviter le dernier coup et s'effondra, l'abdomen meurtri. Une gifle la secoua assez pour qu'elle tombe sur le côté. Il la poussa du talon et la dominant de toute sa hauteur lui écrasa le poignet droit. Celui qui tenait l'épée héritage de son sang: Lion Heart. Saviour appuya tellement avec ses éperons qu'elle en lâcha son arme. Alors il lui asséna triomphant : « Précepte premier du clan de Victor : Jamais tu ne lâcheras l'arme de ton sang. Pourtant te voilà privée de Lion Heart ma pauvre fille. » 

Comment connaissait-il le nom de son arme ? D'où le tenait-il ? Ses espions étaient-ils disséminés à l'intérieur de l'armée impériale ? Rien de plus probable... Il la frappa dans le thorax, salissant ainsi ses atours de blanc et de bleu-ciel : « Précepte numéro deux du clan de Victor : Jamais tu ne reculeras, tu combattras honneur au poing et au cœur toutes les injustices. Te voilà à terre, mordant la poussière devant un terroriste... » Comment osait-il ? La colère la rendait folle. Un rien du tout, un abject arriviste, un méprisable soudard dégringolé à la tête d'une organisation des plus infâmes. Comment pouvait-il croire qu'il possédait les prérequis pour lui parler d'égal à égal. Elle le dominait en tout ! De par sa naissance d'abord, de par ses titres, de par son rang ! Elle lui cracha dessus fière et pleine de son sang victorien ! « Et ? Tu as appris nos coutumes, nos lois. Cela ne te donne nullement le droit de parler de notre honneur. Reste à ta place, couard, lâche ! N'ose jamais seulement essayer de te hisser au-dessus de ta condition. Tu n'es rien ! Même dans la mort tu me resterais inférieur ! Comprends-tu cela?» Le coup de pied qu'elle reçut à ce moment-là lui fit cracher du sang... Au loin Jeffrey fou de rage tentait de se défaire de ses agresseurs directs. Mais impossible de les battre. Il voyait sa princesse, commandant suprême de l'Ordre du Lion, se faire littéralement écraser. Saviour s'avérait le plus fort. « Inférieur... Même dans la mort dis-tu ? Victoria n'a pas changé. Et ne changera jamais. Toujours la même et détestable arrogance aveugle. Toujours la même déraisonnable foi dans la politique du sang... Regarde-toi. Regardez-vous. Ta pseudo-supériorité t'aide-elle en ce moment précis ? Ton sang va-t-il te prémunir de la mort ? » Cassandra le dévisagea déchaînée et impétueuse : « Ne dis pas n'importe quoi. L'héritage de mon sang est la raison de mon honneur ! » Saviour appuya plus fort encore sur la main au sol désarmée : « Nous y voilà. Le sang... L'héritage. Ecoute-moi bien, ton sang ne t'a donné que l'illusoire croyance que tout t'est dû. Point. Tu ne possèdes que l'honneur du nom, le courage d'un souvenir étriqué, la noblesse du sang... »