Sous les yeux médusés de Phybraz deux hommes s'affrontaient dans l'éther. Deux géants du monde des Magistères. De ce que lui avait révélé Khlea, Faith Raeeven avait jadis été le disciple d'Omi Taajukei. Et à en croire la jeune et blonde Magistère, il s'avérait n'être autre que le meilleur de ses élèves. Le meilleur... Une inquiétude profonde, angoissante, dérangeante s'empara de lui. Pendant quelques secondes il visualisa ce qu'il pressentait déjà depuis un moment mais qu'il ne voulait guère s'avouer : ils faisaient le jeu d'une conspiration importante, ficelée, ancienne. Dieu seul savait ce qui pourrait encore leur arriver s'ils ne parvenaient à faire basculer à leur avantage le jeu des forces en présence. Faith Raeeven... Qu'as-tu en tête ? A quoi tout cela rime-t-il ? Que cherches-tu à la fin ? Mais déjà il devait esquiver un coup de hache et ré-attaquer pour ne pas trépasser. « Diable ! Va-t-on survivre Khlea ? » Elle le dévisagea intensément. Désormais tout dans son regard excédé, contrefait par la concentration et l'anxiété exprimait cette évidence : sauf miracle ils mourraient tous. Le nombre d'ennemis s'avérait trop écrasant et surtout ne diminuait guère. Bien au contraire. Il leva des yeux incrédules et la vision qu'il eut le figea. Quatre gardiens immortels, seulement présents dans les légendes, se tenaient là dans le vide, flottant et protégeant chaque face du prisme de lumière qui emprisonnait le doyen des Magistères et son ancien élève. La Tortue embrasée au feu le plus obscur, le plus noir, l'Oiseau vermillon à l'incandescence la plus pure, la plus absolue hurlait tel le Phoenix qu'il incarnait, le Tigre de puissance étalait ses flammes blanches immaculées et illuminées, aveuglant tout regard osant se poser sur lui, enfin le Dragon azur faisait flamboyer ses flammes d'eau bleues, dansant dans l'espace comme pour rappeler les eaux profondes du Pacifique alentour. C'est un rêve... Non ce n'était guère un rêve. Ni même un cauchemar. Il aurait voulu savoir ce que les deux silhouettes à l'intérieur du prisme se disaient mais il ne le pouvait, privé de cette connaissance précieuse par une trentaine de mètres.
« Et bien et bien... Nous y voilà professeur. Tu as lâché les gardiens pour nous emprisonner tous les deux. Tu cherches à mourir je suppose ? Sache qu'en ce qui me concerne, je répugne à l'idée de laisser ma vie ce jour. C'est même exactement le contraire qui m'anime... » Le contraire. Omi savait que son élève nourrissait des chimères étonnantes vis-à-vis de la mort. Mais lesquelles exactement ? Qu'avait-il bien pu manigancer depuis toutes ces années ça, personne ne pouvait le dire. Il l'avait cru mort et il aurait voulu que ce fut vrai. Pourtant il était trop tard pour les regrets il fallait désormais se battre. Et ce pour de bon. « Faith. Approche. Je vais te montrer ce que doit être un véritable Magistère. Je vais aussi te faire comprendre ce que signifie la peur. En garde traître! » Les yeux de Faith, normalement clair, viraient comme souvent lorsqu'il changeait d'humeur au noir. Un noir d'encre, visqueux et tellement dense que l'on en perdait la notion de l'espace. Son visage aussi semblait se muer. Non physiquement mais l'image qu'il renvoyait devenait trouble de noirceur et de méchanceté, de maléfique haine. A qui en voulait-il exactement pour posséder autant de rancune ? Il représentait tout ce que le monde avait de ressentiment... Oh non. Il était ce ressentiment. Sa voix, désormais caverneuse et gutturale s'échappa vers son ancien maître : « Approche vieillard. » Omi inspira profondément avec le nez. Ramenant ses paumes l'une contre l'autre en forme méditative il expira avec son bas ventre. Il sembla que son corps s'altérait, comme si les proportions se modifiaient bien que rien ne changea en apparence. Et puis il commença à se mouvoir dans l'espace à une vitesse et avec une aisance hallucinantes. Grace à sa maîtrise de l'équilibre et à la vitesse de ses déplacements, l'on aurait dit qu'il était quatre à cinq fois plus grand. Le temps de se rendre compte de ce qu'il se passait et Faith prit tout de go une volée de frappes dans le thorax et fut balayé. Ce n'était pas un nombre de coups évaluable à l'œil nu. Faith venait de recevoir une pluie d'étoiles... Comme si les mouvements de son maître rétrécissaient l'espace et le temps à cause du rythme et de la rapidité des coups portés. Faith recula et cracha une gerbe de sang. Son thorax était en miettes.
Il dit en souriant : « Et moi qui te pensais amoindri par l'âge. Tu as conservé toute ta célérité. Je te trouve presque plus puissant d'ailleurs... Encore des techniques cachées dont tu raffoles n'est-ce pas ? Pourtant ce ne sera guère suffisant.... » Alors à mesure qu'il s'exprimait les os éclatés de son corps se ressoudèrent avec une rapidité manifeste dans un bruit de succion immonde. Omi murmura désapprobateur : « Ta vitesse de guérison est beaucoup trop importante. Où as-tu appris cela ? Ce n'est pas l'art des Magistères... » Effectivement à peine avait-il terminé sa phrase que Faith se tenait le plus droit du monde, sans douleurs apparentes. Ses plaies internes totalement refermées. « Tu ne sais pas tout vieillard. » Effectivement Omi ne savait pas tout. Mais il savait une chose : l'art de Faith n'avait rien d'une utilisation normale du Pouvoir. « Tu joues avec les lois naturelles Faith... N'as-tu rien gardé de l'enseignement du Temple ? » Faith se cambra légèrement. Puis il rétorqua que l'enseignement du Temple ne lui était utile que si cela servait ses desseins. Ce n'était guère le cas, donc il s'en était défait depuis très longtemps. Les sacro-saintes règles d'équilibre et d'harmonie des Magistères ne lui permettraient en rien d'accomplir son but. « Vous êtes enlisés dans le passé. Les Magistères ne sont guère plus que le reflet de leur immuable immobilisme. Vous êtes des freins à la connaissance et pire que tout, vous acceptez que d'autres meurent pour vous... Se draper derrière les règles du Pouvoir pour justifier ses propres faiblesses, son inconsistance... Voilà ce qu'est le Magistariat ! » Omi ne ressentait que de la pitié pour l'homme devant lui : «Tu n'as guère changé. Un enfant. Voilà ce que tu es. Tu penses que braver des enseignements sages de mille ans te sera bénéfique ? Tu crois vraiment qu'user ainsi du Pouvoir est sans revers pour toi ? Fol et arrogant disciple... »
Faith sortit de ses gonds hors de lui : « Je ne suis plus votre disciple ! Peu m'importent l'équilibre du monde, l'harmonie du Pouvoir et toutes vos sottises... De toutes les manières il ne peut plus rien m'arriver. Que croyez-vous que j'ai fait toutes ces années ? » Il se gratta machinalement le menton et parut excédé. Lançant le regard le plus mauvais à son ancien maître il murmura : « Tu vas mourir... » Un champ d'une noirceur insoupçonnée se construisit autour de lui et étala son influence néfaste. Des hurlements semblaient en provenir et une masse énorme de corbeaux en sortit. C'était comme si tout l'espace du prisme était aspiré dans une autre dimension, la sienne, pleine d'une éternelle nuit rouge, à la lune noire obscure sans taille, couvrant les étoiles absentes, peuplée du cri de ces oiseaux à l'aura la plus foncée et dénués de lumière. Néanmoins quelques-uns de ces messagers sinistres possédaient de sombres yeux tirant du rouge sang pour certains au bleu le plus clair pour d'autres. La majorité cela dit arboraient des yeux plus foncés encore que leur plumage ténébreux. Omi était littéralement aspiré par cet autre monde ouvert sur lui. Puis d'un revers de la main droite il balaya l'univers ainsi créé. « Cela ne peut fonctionner sur moi pauvre fou. Oublies-tu qui je suis ? Une illusion de ce niveau est juste bonne à nourrir tes peurs Faith. » Ce dernier sourit hostile. Ses longs cheveux noirs tombaient devant et sur ses côtés. Son manteau haut et épais parsemé de traînées nuageuses azur et d'une triste lune mélancolique asseyait l'impression de prince de la nuit qui se dégageait de lui. Omi commença alors une sorte de lente danse légère. Similaire à celles exécutées par ses élèves sur la côte de Kimôto mais plus longue encore. Ses mouvements étaient d'une grâce peu commune, témoignant de sa maîtrise extrême. Faith observait d'aussi loin que le prisme le lui permettait, prudent. Alors Omi explosa d'un coup et se retrouva à hauteur de son opposant, frappe de la paume ouverte, du coude, coup de talon, il exécutait des enchaînements vieux de plusieurs siècles. D'une propreté et d'une précision de haut Magistère ; le meilleur, tout simplement. Faith évitait ou parait non sans difficulté mais ne se laissait guère entamer. « Si tu crois que je vais me laisser avoir par ça... » Pourtant Omi accéléra. Ses coups devenaient de plus en plus nombreux, de plus en plus précis, de plus en plus puissants. Et sur son visage un calme d'une sérénité de statue de temple. Alors ses gestes gagnèrent encore en fluidité et il perfora littéralement la défense de Faith. Ce dernier fut subjugué. Pour éviter de subir le même sort que précédemment il frappa du coude droit, agrippa le maître, lui asséna un coup de tête et tenta de le projeter dans le vide.
VOUS LISEZ
Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...