ELEANOR I

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Les deux astres du ciel du Pacifique brillaient fort ce matin-là. Toujours se dévoilant à deux, le plus gros d'abord puis apparaissait son petit frère, ils irradiaient avec bonté les terres du riche anneau- archipel. Plus tard dans la journée apparaîtrait le troisième, le plus vaste, qui ne brillait d'aucun rayon, se contentant seulement d'habiller de nuances safre et outremer l'azur infini. Quelle élégance s'émerveilla Eleanor. Après avoir tant couru elle s'autorisait enfin quelque repos. Tant de splendeur lui agréait. Après tout ça, c'était là une juste récompense.

Elle descendit calmement les marches nombreuses qui guidaient tous les passants vers le sable laiteux de Kimôto, la ville sacrée. Elle se recroquevilla là, les bras serrant ses genoux frêles et enfouit ses yeux dans ses cuisses. Puis elle releva le chef et pensa que ce n'était pas digne d'elle. Comment diable réagirait sa sœur si elle la voyait se tordre ainsi ? Mal sans doute... Et puis ! Elle ferait ce que bon lui semblait, elle n'était plus une enfant, elle choisirait quoi faire ! Si seulement... Un soupir fatigué. Elle plongea ses yeux dans Mag-Nos Wan, le plus gros des deux astres de lumière, et lui demanda s'il consentait à toujours éclairer son chemin. « Y consens-tu ô soleil ? » Rien...

Mais elle crut discerner plus de chaleur sur sa peau et le prit comme la réponse escomptée. Déjà sur ses jambes elle descendit un peu plus. S'enfonçant dans le sable crème elle crut l'entendre chanter. Il était vrai qu'il crissait singulièrement ce jour-là. Mais les bienfaits de l'énorme soleil répondant commençaient à s'estomper et une certaine angoisse s'empara de la pauvre Eleanor. Elle tripotait machinalement ses coudes et ne détournait pas les yeux de ses pas. Elle ne voulait pas partir. Ne désirait pas accéder à la requête, ordre serait plus juste, de sa sœur.

Mais de quel pouvoir bénéficiait-elle au juste ? Que possédait-elle pour oser la contredire ? Rien... Ou pas grand-chose. Voilà. Elle rentrerait, contrainte, forcée et comme toujours ballottée par le bon vouloir familial. Miracle que son sang consentit jusqu'ici à la laisser aller et venir sur les plages neigeuses de Kimôto. Peut-être était-ce cela le devoir. S'obliger à prendre sur soi et à brider son bonheur au profit des autres. Lesquels, elle en était certaine, n'existaient que pour juger, ordonner, paraître. Mais quand étaient-ils vraiment ? Mystère... Forte de cette conclusion elle admit que comme eux, elle ne serait probablement jamais libre. Le destin certainement. Un destin bien noir, bien servile en comparaison de l'abondante latitude que ces îles océanes proposaient...

Si l'on appartenait à la bonne caste, nota-t-elle. Mais ceci était une autre histoire. Soupir. Morne la vie ce matin-là, exception faite de Mag-Nos Wan et de ses trublions de frères. Elle chassa quelques algues du pied et ne s'avoua pas ces satanées larmes qui coulaient abondantes le long de ses joues lisses. L'on ne pleurait pas chez elle. Aller. Il fallait songer à rentrer. Sa comédie touchait à son terme. Et puis où croyait-elle fuir ainsi ? Au-delà de l'océan il n'y avait rien !

Elle chemina jusqu'à l'eau et s'en éclaboussa le visage, le corps, de plaisir et de désespoir. Puis quand elle fut parfaitement trempée elle décida qu'il suffisait. Rebroussant chemin elle trébucha et finit parfaitement au sol. D'abord mouillée, elle serait sale et pleine d'un manteau de sablons désormais ! Joie ! Quel tronc échoué avait bien pu ainsi la faire choir ? Se relevant elle se mit en tête de récompenser par un bon coup de savate la dite bûche quand, trop tard, elle découvrit qu'il s'agissait en fait d'un être humain. Pourtant l'inconnu ne répondit à sa bourrade que par un léger grognement. Tous deux partageaient selon les apparences l'habitude des bains habillés...

Et puis elle s'arrêta sur la physionomie de cet homme. Jeune apparemment, la peau légèrement dorée, les yeux fins et étirés, une toison abondante au noir le plus absolu. Rarement elle avait observé tant de nuit dans une chevelure... Beau ça oui. Mais pas de cette splendeur irradiée qu'elle retrouvait dans son soleil. Non. Celui-là était le contraire. Il lui offrait là et en plein jour, l'élégance blafarde des étoiles dans l'obscurité. Une femme ? Non... Son corps semblait trop bien fait et ferme pour cela. Mais voilà ce qui depuis le début la dérangeait, ou plutôt l'interpellait. Ses habits ! Jamais ne lui avait été donné de voir de tels atours. Une chemise blanche... Oui, plus que commun. Sous le col une bande de tissu qui voulait sans doute être une cravate. Jusque-là rien d'extraordinaire bien que cette coupe et ce dessin lui parurent vraiment quelconques. Dénués de style en fait. Et puis l'ensemble. Ce pantalon, cette veste. Gris. Bon le ton ne posait pas de problème au fond.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant