Plus de deux jours qu'il était rentré des Monts Fan. Le voyage en lui-même n'avait pas du tout été éprouvant. Pourtant il ressentait tout au fond de lui une sorte de fatigue, comme s'il s'était vu privé de toute force vive. Il avait beaucoup dormi, trop peut-être. Il ne pouvait guère faire autrement cependant. Tirant dans ses moindres réserves pour soutenir l'entraînement d'Arthulian Edgemaster, il n'avait pu s'empêcher de succomber à un repos long et réparateur. S'éveillant doucement à une nouvelle existence, celle d'un dépositaire d'une marque maudite et sombre, il savait désormais comment la maîtriser, comment s'affranchir de sa funeste influence. Et cela, bien qu'il répugnât à le concéder, il le devait en majeure partie à Arthulian et à Serenity. Il devait l'avouer il n'avait aucunement imaginé à quel point leurs connaissances étaient grandes, précises, profondes. Il n'avait jusque là qu'à moitié perçu ce que cela signifiait et impliquait que d'être un Magistère... Il comprenait mieux cette notion d'équilibre et pourquoi elle se manifestait, omnisciente, dans tout ce que l'Ordre entreprenait. Une main glissa le long de son bras et un tressaillement plus tard il se perdait dans le noir regard laqué, sans fond, de la belle Izumi. Depuis quelques temps déjà il se sentait attiré plus puissamment par la jeune paciféenne. Plus ardemment. Et comme il s'imaginait leurs deux âmes abandonnées l'une à l'autre dans une intimité circonstancielle, il discerna nettement son nom évoqué du haut des gradins, lancé par le Magistère Gaies. Son tour arrivait donc enfin. Sans perdre de temps il se leva et oubliant la belle étudiante, se dirigea fièrement vers le centre de l'arène. Il vit arriver d'une porte à son strict opposé un garçon d'à peu près le même âge que lui. Ses cheveux châtain présentaient des reflets orangés à lumière. L'œil pétillant et intelligent, non dénué d'une sorte de malice malveillante. Il lui sourit en arrivant. Shun remarqua assez rapidement qu'un large capuchon de métal cachait complètement son avant-bras gauche. Qu'était-ce ?
L'adversaire salua la foule, le Magistère Gaies et les membres du Haut Conseil présents pour cette dernière phase de l'Épreuve. Puis il salua également son adversaire. Shun rendit de façon assez raide ce salut. Les voilà tous deux en garde, prêts à en découdre. Le jeune homme répondait au nom de Jeremy Dariam. Il l'avait clairement entendu avant le combat. Jeremy le pointant du doigt lui cria sans respect aucun : « Tu vas voir ce qu'on sait faire à Theves ! Chien de nobliau. » Personne ne releva l'insulte. L'Épreuve autorisait presque tout une fois le combat entamé. Nobliau. Il savait donc qu'il possédait des ascendances nobles. Qui était-il ? Savait-il aussi qu'il venait d'un autre monde ? Qu'il était Japonais ? Impossible... Mais pourtant ? Normalement personne à part Rolann n'en avait la moindre idée. Et ce dernier serait bien irresponsable de le révéler. Il éluda assez rapidement cette piste. Alors... Le temps d'arriver au bout de sa réflexion un bras arrivait en le visant à la tempe. Il se cabra et évita au dernier moment le coup de poing qui voulait crocheter sa tête. Il arma son bras droit et frappa de la paume ouverte en expirant au niveau du plexus. Jeremy reculait en l'insultant encore. Se reprenant il frappa encore une demi-douzaine de fois. Shun évitait tous les coups. Il voyait les mouvements arriver avec une facilité déconcertante. Il pouvait prédire tous ses assauts. Il rectifia son avancée avec sa jambe gauche et des deux mains le repoussa encore. « Abandonne. Tu n'as pas le niveau. Je dispose totalement de toi. » Froid, distant et supérieur. Shun s'exprimait dans toute son insensible nature. Exaspérant les uns, fascinant les autres... Son entraînement avec Arthulian payait. C'était incroyable. Il se sentait léger, alerte et totalement libre dans son fluide équilibre. Mieux. Il lisait les mouvements. Non... Il ne lisait rien. Il pressentait les intentions de son adversaire. Et c'était là précisément ce à quoi Arthulian l'avait initié.
Il demeurait encore très loin de pénétrer les subtilités d'une telle science mais contre un amateur de cet acabit il arrivait très bien à appliquer les leçons du Magistère. « Je te le répète, renonce ! » De rage et de frustration Jeremy aboya plus qu'il ne parla : « Tu rêves ou quoi ? Jamais ! Tu penses qu'un fils des maisons comme toi peut m'atteindre ? Tu crois que tu as les épaules pour t'opposer à moi ? Tu n'es rien. » Et comme pour prouver ce qu'il avançait, il s'affranchit de l'enveloppe métallique qui recouvrait son bras et révéla une main en airain. L'on eut dit qu'elle avait été forgée dans l'acier. Le regard de son propriétaire avait changé. De la colère à la rage, désormais il manifestait tous les signes de la satisfaction la plus profonde. Il arma son bras comme l'on peut le faire d'un fusil et l'instant d'après une salve incroyable de fumée et de lumière s'abattait sur Shun. Il évita de justesse les projectiles luminescents. S'il n'avait suivi l'entraînement d'Arthulian il aurait à coup sûr perdu la moitié de son intégrité physique. Une arme ? Mais de quel droit ? Indigné il se tourna instinctivement vers l'estrade en hauteur de laquelle le Magistère Gaies observait le combat. Dans ses yeux dénués d'émotion Shun comprit qu'un tel manquement serait toléré. Il n'en fut pas choqué, non. Il se découvrit ulcéré. Quelle honte, quelle lâcheté ! Se donner ainsi en spectacle et ne pas se plier à ce que lui considérait comme le code des guerriers, les règles simples d'éthique et de morale que tout artiste martial, tout combattant digne de ce nom devait respecter. Il murmura quelque chose que son adversaire discerna non sans mal : « Tu n'as pas le droit. Non, tu n'en as pas le droit. » Shun adopta une garde enfoncée. Les jambes semi-fléchies, les paumes de main ouvertes il semblait tenir son adversaire visuellement. Puis comme s'il ne s'était jamais figé il avança vers sa cible mouvante. Il frappa avec une vitesse calculée sur des points très précis. Jeremy en bloqua la moitié.
Dans son expression Shun semblait détaché, serein. Ses mouvements s'avéraient souples, déliés et fluides. Tant et si bien que la garde du porteur d'acier s'émoussait. Tous purent constater combien en quelques jours sa technique avait évolué. Il sembla s'arrêter puis expirant doucement libéra de ses deux paumes son énergie au milieu du corps de Jeremy. Ce dernier recula, trébucha, roula et s'écrasa contre la seconde enceinte de la Lance d'Or. Celle qui contenait l'arène de combat. Sur le visage de l'héritier du clan Tanaka, une expression figée désormais commune. Pas même l'ombre d'un tremblement. Deux yeux noirs et inquisiteurs observaient sans considération le jeune homme étalé sur le sol. Ce dernier conscient du haut mépris qu'il y décelait ne put réprimer sa hargne. Il se déversa : « Mais pour qui te prends-tu au juste ? Pourquoi me regardes-tu de la sorte ? » Il cracha un peu de salive rougie par les coups : « Toi et tous les autres. Je vous écraserai. » Se relevant il sembla charger son bras et ce dernier se modifia. La structure métallique se mouvait dans l'espace et très vite, en lieu et place de sa main une sorte de fusil à petits canons multiples. C'était donc cela... Shun l'observa sans dissimuler son dédain. Les canons chargés allaient partir. L'on entendit une explosion. Quelques secondes plus tard Jeremy se pliait de douleur, impuissant. Son bras métallique broyé et le torse déchiré. Au creux de la main de Shun une sorte de sphère éclatante aux reflets blancs azurins. Alors que la lumière s'estompait son adversaire cracha mauvais : « Aujourd'hui les fils bien nés l'emportent mais... » Un retentissement, une gifle sans ménagement. Shun dit sèchement : « Pauvre sot. Cela n'a rien à y voir. C'est une question d'âme. Bien né ou non, tu ne possèdes pas la fierté du guerrier. Et c'est pourquoi tu ne pourras jamais me vaincre. Même en cent années de pratique. »
Il marqua un temps et reprit : « Mais si tu changes un jour viens me retrouver. Je t'accorderai alors ta revanche. » Se retournant il disparut non sans se draper d'une froide, d'une altière démarche, soutenue par les vivats et les hourras de la foule. « Shun aux yeux sombres!! Shun aux yeux de nuit !! » Deux moines se jetèrent et transportèrent le blessé. Impuissant, frustré, Jeremy jurait ce jour-là de se venger par tous les moyens. Tous. « Shun... Sur mon sang je le jure, je te ferai payer au centuple cet affront... » Ses yeux d'écarlate haine croisèrent ceux d'un autre jeune homme. Rolann plein d'entrain et de soif de gloire venait d'assister muet à la victoire de Shun. Et quelle victoire ! Il le savait, pour prétendre aux plus hautes reconnaissances il devrait faire au moins aussi bien, sinon mieux. Quelle technique étonnante. Il s'était débarrassé si facilement de son adversaire... Pourrait-il jamais le battre ? Sortant de l'arène Shun n'eut pas le loisir d'apprécier sa victoire : Arthulian lui barrait le chemin. « Je t'avais dit d'attendre avant d'user de cette technique. Tu n'es pas encore prêt. » Shun en avait parfaitement conscience mais il n'avait pu s'en affranchir. Se tenant l'aisselle à l'endroit de la marque il murmura avec énervement : « Je le sais fort bien. Je ne le sais que trop ! Mais je n'ai guère eu le choix...»
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...