ROLANN III

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Rolann avala ce qui lui restait de salive, horrifié. Sôra semblait inerte, inconscient. Devant Rolann une vision des temps anciens, immémoriaux, archaïques. Un véritable titan. Mais il ne voulait pas mourir... Il ne se décidait pas à abandonner. « Je dois te battre... Je vais te vaincre, je le dois. » L'énergie jaunâtre de Nean-Shô brûlait tout autour de lui. Le parvis fondait et les arbres calcinés s'affaissaient. Il sembla à Rolann qu'il ne devait son salut qu'à sa propre aura écarlate encore présente. Combien de temps pourrait-il soutenir cette débauche d'énergie. « Rolann... L'esprit n'a pas de prise. C'est l'homme qu'il te faut vaincre. » Qui ? Où ? « Rolann... Bats-toi héritier du Pacte, fier dépositaire du sceptre du commandement. » Devenait-il fou lui aussi ? Il s'aperçut qu'il jouait depuis quelques secondes avec son casse-tête fait de ces disques de cuivre, toujours caché dans les plis de sa poche. Le Pacte... « Demande la puissance du Pacte Rolann... » Il s'éleva de toute sa stature et observant cette chimère géante prononça les mots : « Le Pacte... Je le veux. Je veux la force, je veux la Puissance du Pacte ! » Alors son aura rouge se décupla, elle grandissait à vue d'œil ! Sa fatigue se résorbait, ses blessures apparentes cicatrisaient. Beaucoup plus rapidement que celles de Sôra. La voix se fit plus signifiante dans son esprit : « Reçois le pouvoir du Roi, pendant du jour, de la lumière et énergie créatrice de la révolution. Libère le Pacte du Roi. » Son aura carminée devenait plus intense, plus profonde. Un feu ardent, presque volcanique l'animait. Ses yeux virèrent eux-aussi à l'écarlate, contrastant avec le noir de son uniforme draguien. Nean-Shô le considéra : « Le pouvoir du Roi, rien que ça... Cela risque d'être plus compliqué... » Rolann ne savait ce qui lui arrivait mais une chose s'avérait évidente : il gagnait en puissance. « Sôraaaaaaaaaaaaaaaaaaâ ! » Fendant l'air il se jeta sur ce dernier. Les flammes ambrées de Nean-Shô se mêlaient à celles érubescentes de Rolann. Ces dernières formaient, circulaires, un véritable cyclone autour de leur maître et suivaient une ligne spiralée continue et évolutive. Le protégeant de l'esprit géant rugissant de colère. 

Alors Rolann décocha encore une fois un coup de poing, mais dans le sternum. Sôra en rouvrant les yeux ne crut d'abord pas ce qui venait de se passer. Puis il réalisa en crachant que l'esprit des monts de Rokku s'était manifesté. « Il est sorti. Bravo ! Toute trace de vie va disparaître grâce à toi, et je vivrai ainsi pour l'éternité... Seul !» Inepte... Rolann le pointa du doigt : « Ne me fais pas rire !!! Comment un type comme toi a-t-il pu battre Shun ? » Sôra répondit provocateur : « Je l'ai écrasé. Il était nul ! » Rolann lui sourit avec mépris : « Ça m'étonnerait... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé et je m'en moque. Jamais tu n'aurais pu gagner contre lui avec un tel état d'esprit, jamais ! » Sôra hors de lui demanda pourquoi au juste ? « Parce que Shun est le seul dont je suis certain qu'il soit plus fort que moi. Et comme je vais te vaincre, cela signifie simplement que tu es plus faible que lui !! » Rabaissé dans sa légitimité Sôra se rua. Pour la première fois il luttait de près, au corps à corps. Se découvrant dangereusement dans une distance de combat qu'il ne maîtrisait que très peu. Pour Rolann les dés étaient jetés. Il accepta la lutte sans faux-semblants, décidé à en finir. L'un d'eux devait tomber ! Les coups de Sôra, bien que maladroits, exprimaient toute la haine, la soif de sang et la déraisonnable puissance de Nean-Shô. Ce dernier hurlait derrière eux, brillant d'or. Chaque mouvement de Sôra cherchait la mort. Le quartz coupant habillait ses poings, ses pieds. Rolann absorbait toute cette haine. Il ne voulait pas le tuer, mais il ne reculerait guère. L'aura flamboyante pourpre de Rolann n'en finissait plus de se développer. Profonde, incandescente et lumineuse, faite de flammes longues ondulées, créant un cyclone protecteur autour de lui. « Tu vas voir Sôra, je vais t'apprendre ce qu'on m'a transmis au dojo Tanaka ! Le fond contient toujours la forme. » Sôra de répondre : « Silence ! Tait-toi, tais-toi, tais-toi ! Tu vas y passer tu le sais ça ? » Et puis inspirant profondément Rolann se contracta, devenant comme une boule humaine. Enfin il relâcha tout son être, comme un félin criant et tonitruant : « Les quatre poings tourbillonnants du Juge Loguard !!! » 

Ses frappes se voulaient dures, sèches, pénétrantes et tournaient sur elles-mêmes à l'impact, comme des foreuses. Le quartz des monts de Rokku, héritage de Nean-Shô se cristallisa et des pointes acérées émergèrent de la sphère protectrice, érigeant une barrière impénétrable et offensive autour de Sôra. Les coups se répétèrent, et se répétèrent encore ! La force nouvelle héritée du pacte, décuplait l'aura de Rolann si bien qu'il donna une bonne centaine de coups, traversant à chaque fois la matière d'albâtre. Il lança à son adversaire : « Tu penses que haïr le monde entier parce que tu as toi-même souffert t'autorise le facile choix de la haine ? Tu penses qu'abandonner toute félicité car l'on est seul est la seule alternative envisageable? » Un ultime coup, dans lequel semblait concentrés toute sa détermination, ses sentiments et sa volonté révoltée, produisit une sorte d'onde écarlate qui tournait et tournait encore sur elle-même. Grossissant à vue d'œil l'énergie spiralée gagna en vitesse et Rolann put se rendre compte qu'il avait réussi intuitivement à libérer une expression de la Vertu. Un bruit sourd, sa frappe explosait l'armure rocheuse de son adversaire, laissant visible une spirale creusée à la surface. Le quartz disparaissait. Sôra avait été littéralement roué de coups. Son visage et son corps tuméfiés le faisaient douloureusement souffrir. Rolann quand à lui avait pris de plein fouet le dernier assaut de la roche friable. Malgré les flammes écarlates il pouvait très nettement dire à quels endroits il avait été touché. Son uniforme noir était en lambeaux au niveau de l'épaule gauche et se voyait déchiré de lignes sanglantes sur la poitrine. Il s'écroula, tombant à la renverse. Le ciel était si beau, si bleu... L'on aurait guère pu dire qu'en bas pourtant les hommes s'entre-tuaient. Nean-Shô disparut, vaincu. Sa voix caverneuse s'étrangla : « Le Pacte du Roi... Moi, battu par un gamin... Je vois. C'était donc ça... » Rolann se croyait quitte. Les flammes s'étaient volatilisées. Il perçut un glissement, comme un bruissement imperceptible sur le sol. N'ayant pas la force de se relever il se recroquevilla sur le côté : Sôra ! Mû par une force anormale il rampait vers lui, une lueur de carnage dans son vague regard. Certainement toujours sous l'influence du puissant esprit. « Alors... Tu parles beaucoup, donneur de leçon. Donc si je n'ai plus le sang et le désintérêt pour justifier mon existence, que me reste-t-il dis-moi ? Quoiiiii ? » Le ton était violent bien qu'exténué. Ce garçon avait tout perdu, son âme martyre voilée par la douleur et une coupable damnation. A hauteur de Rolann il arma sa main tremblante de laquelle survivait tout le quartz qu'il était encore capable de commander. Ce dernier prit la forme d'une pointe acérée. Et alors que frappant il allait prendre la vie du draguien, ce dernier dévia la pointe descendante à l'aide de son casse-tête providentiel, se retourna avec ses dernières ressources et lui écrasa son poing sur la mâchoire pour la quatrième fois. « Stupide ami... Même si tout est perdu, même si le monde s'écroule, tu ne dois jamais, ô grand jamais abandonner, c'est la clé de la rédemption ! » Sôra avait encore l'intégrité de sa mâchoire. Rolann n'avait pas cherché à lui faire de mal, mais à réveiller ce qu'il possédait encore terré au plus profond de sa souffrance: son humanité. Sôra était à moitié mort, brisé, sans force et à terre. Rolann encore debout lui adressa une dernière parole : « Je suis bien placé pour comprendre tes souffrances, j'ai toujours été seul au fond. Et j'ai perdu les miens. Mais malgré tout cela aujourd'hui je possède des amis et je me bats pour eux. Sôra ce qu'il te restera toujours, c'est l'espoir... » Il s'écroula inconscient. Au loin l'armée paciféenne se dirigeait vers le front de l'Est. Son arrivée providentielle rééquilibrait les forces et permettait aux alliés d'envisager ce pourquoi ces deux garçons s'étaient battu à mort : la certitude intuitive de l'espérance.        

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant