Shun ressentait depuis son duel contre cet inconnu une sorte d'admiration mêlée de questionnements. Qui pouvait bien connaître sa langue ? Qui l'avait ainsi provoqué ? Il semblait peu probable que de l'autre côté du mur de papier l'on ait pu le voir. Donc, dans l'absolu, son adversaire ignorait tout de lui... Ses spéculations le tourmentèrent un moment encore puis il comprit qu'il ne gagnerait rien à s'égarer en hypothèses. Après tout s'il devait recroiser son opposant, et bien leurs chemins se recouperaient à nouveau, voilà tout ! C'était leur destin, leur Karma. Une journée s'écoula sans qu'il soit appelé à monter sur une aire de duel. Il avait pu observer de ce fait une appréciable diversité de combats. Oppositions à la lance, à l'épée, à main nue, combats de sculpteurs, de céramiste, de peintres, de calligraphes, de chants, de poésie, de composition florale, de soins médicinaux, de cartographes...
Tout ce qui de près ou de loin touchait aux études dispensées à l'Université de Kimôto et plus largement de ce vaste monde semblait pouvoir devenir matière à confrontation. En tous cas prétexte pour départager les compétiteurs... Il avait pu ainsi remarquer l'étonnante multitude de pays, de cultures et de coutumes relatives à chaque homme ou femme qui représentait sa terre. Et puis il s'était aussi rendu compte qu'après tout il en allait de même là d'où il venait. Sans doute la pluralité, la richesse de la diversité s'avéraient-t-elles des conditions incontournables pour qu'un « monde habité » existât. En tous les cas pour y faire fructifier la vie... Les hostilités commençaient tôt, à l'heure du dragon bleu, qui correspondrait approximativement à sept heures du matin. Elles s'étalaient sans pause jusqu'en milieu d'après-midi. Ainsi à l'heure de la tortue noire, presque seize heures, les belligérants s'arrêtaient-ils. Engagement terminé ou pas. Le lendemain le tournoi reprendrait à l'heure du dragon bleu, jusqu'à celle de la tortue noire. Ce cycle s'étalerait autant de temps qu'il le faudrait afin de les départager tous.
En ce deuxième jour de lutte Shun, à la fin annoncée des combats, se dirigea seul vers le corridor aménagé dans le roc qui permettait de sortir des zones d'affrontements. Montant calmement les escaliers à flanc de paroi rocheuse il perçut son nom dans le vent. Il s'arrêta pour observer qui le hélait de la sorte. Au bas des marches, une tête qu'il reconnut plus ou moins. Brune, d'un noir profondément épais, le même que le sien. Des yeux en amandes non moins sombres et une peau éclatante de blancheur. I-zu-mi... Il murmura mécaniquement ces syllabes et le temps de comprendre ce qu'il se passait son interlocutrice s'approchait déjà. Elle s'empara de son bras et l'attira rapidement vers l'extérieur. Ils furent en un instant en face des ailes immenses immaculées de l'entrée de l'Université.
Se hissant à hauteur de ses yeux qu'elle observa non sans lumière dans les siens propres, elle dit avec une candeur dont il ne l'aurait jamais cru capable : « Ce soir... Viendras-tu ce soir avec moi ? Je veux te montrer la richesse de ces îles... » Ce regard empli d'espoir, suppliant, la beauté pure manifestement paciféenne de cette fille, ses manières, son parfum, jusqu'à son prénom ! Tout lui rappelait son propre pays. Bizarrement en face d'Eleanor, qu'il appréciait réellement malgré son incapacité maladroite à le démontrer, il se savait plus distant, plus à même de s'imposer. Mais là... Il se sentait proche de la jeune fille qui lui demandait si gentiment de la rejoindre le soir même. Il acquiesça donc. « Ce soir, à l'heure où nos soleils se couchent, je t'attendrais devant la lance des dieux. ».
Et le soir arriva. Shun patientait en face de ce ponton sans fin qui perforait avec force hauteur l'océan, partageant ainsi un côté de l'île en deux. La première fois qu'il l'avait observé ne remontait pas à si longtemps que cela ; combien de temps déjà ? Deux, trois mois ? Peut-être plus, qu'en savait-il ? Décidément le temps semblait s'écouler avec plus de profondeur et de matière que sur Terre. Sur Terre... Savait-il seulement s'il se trouvait sur une planète ? Autre que la sienne ? À quelle époque ? Aucune réponse plausible, impossible de se confier. Il pensa à Rolann... Il aurait presque ressenti l'envie de le voir dés lors qu'il se trouvait perdu, esseulé au bout des mondes. Un éclair de lumière éblouit ses yeux. Se pouvait-il que ? Non... Tout de même pas. Mais l'impossible n'avait plus de sens, il nageait en plein dedans. « Shun ! » Se retournant trop vite, ses longs cheveux tracèrent une courbe élégante dans le vent et il la reconnut dans toute sa splendeur.
VOUS LISEZ
Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...