SHUN II

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Shun ressentait depuis son duel contre cet inconnu une sorte  d'admiration mêlée de questionnements. Qui pouvait bien connaître sa  langue ? Qui l'avait ainsi provoqué ? Il semblait peu probable que de  l'autre côté du mur de papier l'on ait pu le voir. Donc, dans l'absolu,  son adversaire ignorait tout de lui... Ses spéculations le tourmentèrent  un moment encore puis il comprit qu'il ne gagnerait rien à s'égarer en hypothèses. Après tout s'il devait recroiser son opposant, et  bien leurs chemins se recouperaient à nouveau, voilà tout ! C'était leur  destin, leur Karma. Une journée s'écoula sans qu'il soit appelé à  monter sur une aire de duel. Il avait pu observer de ce fait une  appréciable diversité de combats. Oppositions à la lance, à l'épée, à  main nue, combats de sculpteurs, de céramiste, de peintres, de  calligraphes, de chants, de poésie, de composition florale, de soins  médicinaux, de cartographes...

Tout ce qui de près ou de loin touchait  aux études dispensées à l'Université de Kimôto et plus largement de ce  vaste monde semblait pouvoir devenir matière à confrontation. En tous  cas prétexte pour départager les compétiteurs... Il avait pu ainsi  remarquer l'étonnante multitude de pays, de cultures et de coutumes  relatives à chaque homme ou femme qui représentait sa terre. Et puis il  s'était aussi rendu compte qu'après tout il en allait de même là d'où il  venait. Sans doute la pluralité, la richesse de la diversité  s'avéraient-t-elles des conditions incontournables pour qu'un « monde  habité » existât. En tous les cas pour y faire fructifier la vie... Les  hostilités commençaient tôt, à l'heure du dragon bleu, qui  correspondrait approximativement à sept heures du matin. Elles  s'étalaient sans pause jusqu'en milieu d'après-midi. Ainsi à l'heure de  la tortue noire, presque seize heures, les belligérants s'arrêtaient-ils. Engagement terminé ou pas. Le lendemain le tournoi reprendrait à l'heure du  dragon bleu, jusqu'à celle de la tortue noire. Ce cycle s'étalerait autant  de temps qu'il le faudrait afin de les départager tous.

En ce deuxième  jour de lutte Shun, à la fin annoncée des combats, se dirigea seul vers  le corridor aménagé dans le roc qui permettait de sortir des zones  d'affrontements. Montant calmement les escaliers à flanc de paroi  rocheuse il perçut son nom dans le vent. Il s'arrêta pour observer qui le hélait de  la sorte. Au bas des marches, une tête qu'il reconnut plus ou moins.  Brune, d'un noir profondément épais, le même que le sien. Des yeux en  amandes non moins sombres et une peau éclatante de blancheur. I-zu-mi...  Il murmura mécaniquement ces syllabes et le temps de comprendre ce  qu'il se passait son interlocutrice s'approchait déjà. Elle s'empara de  son bras et l'attira rapidement vers l'extérieur. Ils furent en un  instant en face des ailes immenses immaculées de l'entrée de  l'Université.

Se hissant à hauteur de ses yeux qu'elle observa non sans  lumière dans les siens propres, elle dit avec une candeur dont il ne  l'aurait jamais cru capable : « Ce soir... Viendras-tu ce soir avec moi ?  Je veux te montrer la richesse de ces îles... » Ce regard empli d'espoir, suppliant, la beauté pure manifestement paciféenne de cette  fille, ses manières, son parfum, jusqu'à son prénom ! Tout lui rappelait  son propre pays. Bizarrement en face d'Eleanor, qu'il appréciait  réellement malgré son incapacité maladroite à le démontrer, il se savait  plus distant, plus à même  de s'imposer. Mais là... Il se sentait  proche de la jeune fille qui lui demandait  si gentiment de la rejoindre  le soir même. Il acquiesça donc. « Ce soir, à l'heure où nos soleils se  couchent, je t'attendrais devant la lance des dieux. ».

Et le soir arriva. Shun patientait en face de ce ponton sans fin qui  perforait avec force hauteur l'océan, partageant ainsi un côté de l'île  en deux. La première fois qu'il l'avait observé ne remontait pas à si  longtemps que cela ; combien de temps déjà ? Deux, trois mois ?  Peut-être plus, qu'en savait-il ? Décidément le temps semblait s'écouler  avec plus de profondeur et de matière que sur Terre. Sur Terre...  Savait-il seulement s'il se trouvait sur une planète ? Autre que la  sienne ? À quelle époque ? Aucune réponse plausible, impossible de se  confier. Il pensa à Rolann... Il aurait presque ressenti l'envie de le  voir dés lors qu'il se trouvait perdu, esseulé au bout des mondes. Un  éclair de lumière éblouit ses yeux. Se pouvait-il que ? Non... Tout de  même pas. Mais l'impossible n'avait plus de sens, il nageait en plein  dedans. « Shun ! » Se retournant trop vite, ses longs cheveux tracèrent  une courbe élégante dans le vent et il la reconnut dans toute sa  splendeur.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant