SOPHIA

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Sophia s'était délectée en observant la première princesse de l'Empire, avec un brin d'ironie teinté d'amusement. Une vraie tornade ! Dieu que cette fille lui rappelait William jeune. Elle en était le portait tant pour le caractère que pour l'incapacité évidente à dissimuler ses émotions. Surtout quand l'intégrité de Victoria s'avérait en jeu. Elle finirait sans doute par changer. Son père y était parvenu après tout... L'exact opposé de Phybraz d'Arlénon. Homme réfléchi d'une grande valeur tant sur les plans politiques que stratégiques. Tant bien que mal ce dernier s'était évertué à rattraper l'immense malaise que Cassandra avait laissé en prenant congé d'une façon aussi cavalière. D'entente, il n'en était pas encore question, mais il proposait des compromis et nourrissait un sentiment de répulsion évident pour les solutions armées. Que n'avaient-ils reçu un homme de cette envergure avant ? Et puis ce fameux capitaine des Faucons. Ce Neil Highwind. Celui-là lui plaisait tout particulièrement. Non qu'il supplanta la finesse d'analyse et le sens politique innés chez Phybraz. Mais il dégageait cette aura franche, droite et pure, tranchante comme l'acier. Devant lui palissaient les plus engagés des soldats tant son sens de l'honneur semblait juste. Quelle paire... Dommage qu'ils soient si jeunes... 

Arthulian s'était levé peu après Omi. Tour à tour les autres Magistères quittèrent leur céans. Deux cependant restèrent. Gaies Heavystone et Milo Acerbo. Omi d'un regard les invita à le suivre et il marcha dans le verger du temple, sous les lumières multiples lézardant le sol construit d'allées simples pavées, de petits espaces de méditations herbeux, d'agencements dénudés de bambous aux essences multiples. Puis Sophia n'y teint plus. Alors que tous suivaient religieusement le Doyen des Hauts Magistères ils l'entendirent: « Pensez-vous réellement qu'il soit de retour ? Est-il vraiment vivant ? Et s'il l'est pourquoi faut-il qu'il vienne, pourquoi maintenant ? » Omi marqua un pas et avec lui tout le groupe. Non qu'on lui voua un culte quelconque mais sa sagesse semblait si profonde que naturellement l'on écoutait et l'on suivait ses recommandations. Mais Sophia en réalité ne posait pas de question, elle cherchait à ce qu'on la rassure. Peut-être n'en avait-elle pas même conscience du reste.

La marche reprit, calme, lente, une méditation en mouvement comme aimait à la considérer le Doyen des lieux. Mais décidément Sophia ne pouvait se résoudre à simplement bénéficier de l'aura du maître. Il lui fallait parler, dire ce qui n'allait pas. « J'ose espérer pour lui qu'il a tout à fait disparu, car sans cela, je m'assurerais personnellement que ce soit effectivement le cas. » Comment pouvait-elle proférer des menaces dans cette enceinte sacrée ? Nul n'aurait osé se répandre de cette façon. Nulle sauf Sophia Justinia d'Auyn. En plus d'en avoir le caractère elle pouvait se le permettre. Elle et une poignée d'autres, mais ceux-là ne s'y seraient jamais résolus. « Je trouve la position des Magistères bien passive. Si jamais il s'avère que cet homme... » Arthulian se retourna et lui lança sur un ton sans équivoque : « Cela suffit Sophia. Nous t'avons parfaitement entendue et nous comprenons ta position mais tes lubies personnelles ne sont pas les seules en jeu, très loin de là. Souffre que le Haut Conseil se recueille avant de considérer tes avertissements ! » Avertissements... Si l'on ne comprenait pas où elle voulait en venir, elle saurait se faire entendre !

« Arthulian, maître Omi, je crains que vous ne vous fourvoyez sur mes intentions. Je n'avertis personne. Je vous informe de mes actions futures. Ces dernières ne réclament aucunement votre assentiment. Je suis aujourd'hui un Cardinal de l'Église de l'Aurore et toutes les fois, regrettables, où je me vois profiter de l'immobilisme ou de la léthargie du Temple de l'Eau je me réjouis de mes choix. » Elle s'était exprimée venimeuse, d'un seul trait. Milo Acerbo, l'un des plus jeunes Magistères du Haut Conseil et farouche fidèle d'Omi Tajuukei s'emporta. Il avança et fut foudroyé par le Doyen. Son regard pourtant bienveillant n'admettait pas qu'on lui résiste. Pourquoi et par quel miracle cette femme en avait-elle le droit ? Omi s'exprima : « Sophia... Ma chère enfant. » Une enfant de plus de quarante ans tout de même, se dit Arthulian. « Sophia. Ta haine envers cet homme obscurcit ton jugement te faisant souffrir on ne peut plus... Pardonne Sophia. Si ton cœur ne s'ouvre pas au pardon tu ne trouveras jamais la paix. Jamais. Un cœur qui saigne est à plaindre tu sais... Oui tu le sais. »

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant