Lors de cette entrevue avec Ivory il s'était pourtant juré de ne rien laisser transparaître. Et pourtant cela avait été plus fort que tout. En comprenant le pourquoi de cette invitation et devant l'indécision de son ami, il avait réagi avec force détermination. Après tout un Chevalier se devait en toute circonstance d'assumer les situations de crise les plus sensibles. A n'en pas douter cette entrevue en avait été une. Il en ressortait pourtant grandit, plus fort, plus confiant. Tenir tête indirectement à la mère de l'Empereur et lire un mélange d'admiration, de crainte dans ses yeux inquisiteurs apportait un crédit légitime à ses propres choix.
Pourtant pour Neil ce n'était rien. Ce qu'il voulait, ce qu'il recherchait par-dessus tout demeurait la reconnaissance non de son talent mais bien de sa hauteur d'âme, de sa capacité hors norme à servir son Ordre. Quoi de plus important que de se soumettre à ce qu'il avait juré des années auparavant quand fraîchement diplômé de la très réputée École de Saint-Georges il s'était distingué par ses hauts faits d'arme s'ouvrant ainsi par le mérite plutôt que par la solde les portes de la Chevalerie ? Seul comptait à ses yeux l'Idéal Chevaleresque. Pour l'atteindre rien ne saurait se mettre en travers de sa route. En tous cas ni les intrigues de palais ni le pouvoir grandissant de Bygone, l'obscure confrérie tristement conservatrice portée par tout un pan de la vieille noblesse et de la haute bourgeoisie, structure complexe et multiforme dont Ivory était, disait-on, l'une des figures de proue.
Neil avait en horreur ces nobliaux de fin de règne, ces arrivistes nouvellement enrichis où encore ces fainéants de haut lignage qui pensaient manifestement que le sang, la bourse où les pactes convenus suffisaient à faire d'eux des hommes d'honneur, des cœurs dignes de porter le titre pourtant sacré de Victorian Knight! Où passaient les préceptes du philosophe et grand chevalier de l'Empire Euffer Goethe ? Son dos ainsi que son poing se raidirent en évoquant le nom de son maître. Il se remémora les dures séances d'entraînement, la salle d'arme, les leçons philosophiques.
Que cette époque semblait lointaine désormais. En rentrant à la capitale Ordia, Neil visita comme toujours l'orphelinat de Sir Lawrence et fit don d'une certaine somme à l'institution. Puis comme souvent également, il visita les enfants dont les yeux s'illuminèrent en l'observant pénétrer la cours aux pruniers mauves. Certains le connaissaient bien, d'autres l'avaient simplement entraperçu quelques rares fois, enfin les plus timides car les plus jeunes se demandaient avec anxiété qui était cet homme élégant dont les manières juraient avec leur misérable condition. Il ne les prenait pas dans ses bras ni ne s'asseyait pour leur raconter des histoires. Encore moins essayait-il de paraître bon. Mais il les invitait sous les pruniers aux tons bordeaux violacés et là, devant des yeux médusés, il prenait les garçons et les entraînait au maniement de l'épée en bois. Gentiment, calmement, sans heurts. Puis quand le temps s'achevait il commandait aux plus âgés de prendre le relais et s'approchait des filles.
Les plus téméraires escrimaient déjà avec les adolescents de leur âge. Aux autres il enseignait méticuleusement l'art de l'expression, de la diction, l'histoire victorienne ou encore l'une des nombreuses danses de salon pratiquées à la cour. À vrai dire cela dépendait grandement des envies de chacun. Neil ne cherchait pas à faire plaisir, il voulait que ces enfants bénéficient de bases, de fondements leur permettant de s'adapter aux mœurs de l'aristocratie victorienne. Non qu'il fut animé par un esprit de révolte, loin de là. Mais il savait que là, dans ces univers difficiles où il fallait lutter pour vivre, où chaque quignon de pain comptait, où chaque accolade valait mille baisers de la plus sulfureuse des amantes, là se trouvaient les cœurs forts susceptibles de servir un jour le Saint-Empire.
Il trouvait dans ces jeunes yeux abandonnés plus de force et de rage de vivre que dans les pupilles livides de certains de ses pairs. Et puis il s'agissait de son devoir. Quand il en eut fini il repassa par l'intendance et enfin disparut dans la superbe de la ville de verre, aux hauteurs qui défiaient le ciel et tous ses dieux : Ordia l'incomparable. Il se rendait chez les Wimphrey, en l'une de leurs très nombreuses résidences qui consistait en un logis s'épanouissant sur toute la demi-hauteur d'une tour qui perçait les nuages, arrogante et brillante des reflets de la puissante cité. Il fut annoncé et rejoignit la maîtresse de maison. Samantha Fox Wimphrey du haut de sa rousse chevelure bouclée l'observait en souriant. Elle le prit dans ses bras avec distance, s'adressant à lui avec une bonté non feinte. « Mon neveu... Comment vous portez-vous ? » Il répondit par l'affirmative et se servit du vin contenu dans la bouteille qui l'appelait au loin. Celui des terres d'Arlénon.
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...