Cassandra observait avec un mélange de curiosité et d'amer préjugé la ville laiteuse de Kimôto. Devant elle s'étalait intemporelle la ville sacrée des Magistères, bastion de ces ascètes pourtant guerriers qui n'oubliaient pas depuis des centaines d'années d'alimenter leur coffre par le biais d'un commerce florissant. Elle reconnaissait à cette cité-île son statut de cœur du savoir. Nul n'aurait nié l'extrême effort que mettaient les Magistères à protéger et améliorer leur Bibliothèque Universelle. Pourtant au fond d'elle-même, elle ne pouvait s'empêcher de mépriser cette obsession pour les livres : « Savoir oui. Mais sans agir, à quoi sert toute cette érudition ? ». Cette réflexion l'amena à penser à Phibraz. Lui qui sacralisait la connaissance à tel point qu'il en paraissait dépourvu de victorienne vertu ! Quel gâchis pour un homme de son intelligence et de son sang. Un authentique noble, descendant des temps héroïques de Victor le Ier, qui se confondait tel un rat dans des bibliothèques poussiéreuses. Ridicule...
Elle se surprit pourtant à sourire. Oui. A quelques pas jouaient des enfants. Des autochtones selon toute vraisemblance. Elle leur trouvait plus de grâce et de charme qu'à leurs aînés. En fait elle trouvait plus de légitimité chez les enfants, chez tous les enfants, que chez les adultes. Ces derniers toujours se cachaient derrière un masque d'hypocrisie et une absence presque maladive de spontanéité qu'elle méprisait. Cassandra ne dissimulait jamais rien, elle répugnait à mentir et considérait comme faibles les esprits retords. Une femme de terrain, un chevalier, un général, une meneuse d'hommes. Voilà qui était Cassandra de Victoria. Par quel miracle aurait-elle pu adhérer, bien qu'elle les comprît parfaitement, aux dogmes subtils et malléables des Magistères ? Le problème de toutes les façons ne se posait pas. Au contraire de sa sotte de sœur, toujours s'était- elle débrouillée pour suivre les meilleurs maîtres, les plus grands penseurs victoriens et surtout les stratèges célèbres. Elle concédait que ces livres-là demeuraient incontournables. Et puis portant sa main à la hanche avec un mélange unique de délicatesse et de fierté elle murmura : « Je respecte la connaissance. Mais l'érudition seule ne permet pas de remporter les batailles ! »
Fort contente d'elle- même et de ses conclusions elle se mit en tête de rejoindre ses hommes. Depuis que le céleste navire aux armoiries du Lion d'Or, celles du Clan Victorien, s'était posé sur la baie de l'immaculée Kimôto elle s'était autorisée une marche méditative. « Laissez-moi seule ! », ordonnait-elle aux fidèles cerbères qui l'escortaient. Rampant de peur et de suspicion pour ces terres paciféennes, ils l'avaient suivi de loin. Cela ne la gênait guère tant qu'elle pouvait se recueillir. Mais déjà devait-elle régler et au plus vite les urgentes affaires qui la menaient chez ces illusionnistes de Magistères. Sa grand- mère Ivory lui avait conseillé le calme et la patience. Mais Ivory s'y entendait comme personne en complot et en intrigues. Pas elle ! Justement s'était-elle évertuée toute sa vie durant à construire un personnage de rigueur toute martiale. Ce n'était certes pas pour devoir aujourd'hui recourir à ces fadaises. Elle parlerait à sa sœur et avec son assentiment ou pas, l'obligerait bien à renoncer à ce freluquet venu d'on ne savait où. Elle doit rentrer avec moi. Mais si ce n'était que cela. Officiellement n'avait-elle pu quitter inopinément la capitale quelques jours après son sacre que parce qu'elle s'était imposée à l'ambassade victorienne menée par Phybraz d'Arlénon.
Discutailler avec la République... Autant se rabaisser plus encore et leur offrir quelques territoires tant que nous y étions ? Alors qu'elle parcourait la ville blanche surprenante de puissance et de lumière, elle aperçut justement ce cher Phybraz. Devant le Kanryo, superbe auberge traditionnelle dans laquelle vraisemblablement il avait élu domicile, il s'entretenait avec son secrétaire. Comme toujours à l'aise et de bonne disposition, s'adaptant à toute situation. À le voir l'on pouvait dire sans mal qu'il se plaisait clairement dans ces rues et, elle l'aurait juré, il s'était déjà entretenu avec les artisans, les passants, le personnel de l'Auberge ou tout autre représentant indigène. Sans tact ni amitié dans la voix elle l'interpella. Se plaisait-il là ? Savait-il exactement où se tenait leur petite réunion ? Autant de questions dont elle connaissait déjà les réponses mais qui lui semblaient nécessaires pour asseoir encore et toujours son autorité. Non sans ironie il répondit oui à toutes ces questions et ouvra la marche. Très vite à sa hauteur Cassandra exposa quelques banalités de circonstance puis en vint aux Magistères.
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...