ELEANOR II

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« Si tel est le cas, les ramifications et la puissance d'une telle organisation, capable de s'introduire au plus près d'une princesse impériale au cœur de Kimôto sont bien réelles. Elle doit être prise en compte au plus vite. Les Magistères possèdent l'un des réseaux les mieux informés des Neuf Pays. Si cet homme a pu passer les mailles de leur filet en devenant un étudiant de la Faculté Universelle, combien d'autres ont pu ou sont sur le point de nous trahir ? » Une voix étonnamment douce vernie d'une autorité manifeste commenta : « Le meilleur réseau d'information si je puis me permettre. Oui cet homme nous a bernés. Mais je ne pense pas qu'ils soient nombreux dans son cas. Peu de gens sont capables de cacher avec autant d'aplomb et de brio un tel degré de connaissance dans les arcanes du Pouvoir. Nous aurions dû le sentir. Et si cela n'a été le cas c'est grâce à l'extrême maîtrise de cet homme. Il semble qu'il possédait au moins le niveau d'un Magistère, n'est-ce pas Chevalier ? » Il s'adressait à Neil qui opina du chef. Bas de poitrine, souriant et toujours triturant ses longues oreilles percées de deux joyaux paciféens, un pour chaque lobe, Omi Taajukei doyen des Magistères et chef tacite du Haut Conseil entrait en scène. De près le suivaient Arthulian Edgemaster, Milo Acerbo et Gaies Heavystone. Une gravité solennelle se dessinait sur les visages tirés des trois Hauts Magistères. Omi se dirigea vers Eleanor : « Je déplore cette situation princesse. Croyez-bien que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour dorénavant vous mieux protéger... » Cassandra fustigea : « C'est bien trop tard ! Elle va rentrer à Victoria et ce jourd'hui s'il le faut ! Je ne laisserai pas une journée de plus ma sœur dans ce coupe-gorge que vous étiez sensés garder! Vous êtes chez vous nom de... » Eleanor indignée se leva : « Il suffit ma sœur. Vous vous égarez. Quand bien même voudrai-je rentrer que je ne le pourrai. » 

Cassandra s'inquiéta de savoir pourquoi ? Qui ou quoi l'empêcherait dés lors de regagner la mère patrie, seul terre au sein de laquelle elle serait en sécurité ? Eleanor se trouva un courage rare : « Parce que mon devoir me commande de rester désormais. Je suis une apprentie sous la tutelle du Magistère Serenity Teva. Je ne peux fuir et suis liée par serment au Temple de l'eau. » Cassandra en reculant crut défaillir. Sa sœur une apprentie Magistère ? Liée à vie au Temple de l'Eau ? Une princesse impériale! Mais que signifiait ? Elle mit main à l'épée pour se rendre compte que cette dernière restait à l'entrée du Temple auprès de ces satanés moines. Aucune arme n'était autorisée dans l'enceinte du monastère. Misère... Omi les mains dans son dos, le crâne huileux de brillance et la barbiche volontaire souriait pleinement dans sa toge blanche de Haut Magistère. Comme s'il avait attendu ce moment. De toute sa grâce, de toute sa fierté nouvelle et malgré la terreur qui l'habitait depuis deux jours Eleanor affrontait son aînée: « Oui je suis une apprentie Magistère. Et je reste une princesse impériale. Mais je n'accéderai jamais au trône. Il y a trop de prétendants comme vous le savez fort bien. Je ne suis pas de taille à mener ce genre de politique. Mais j'entends pour une fois choisir seule mon destin. Et ce destin m'amène aujourd'hui sur les sentiers du Magistariat ! » La gifle fendit l'air et claqua si fort qu'Eleanor en perdit l'équilibre : « Une princesse d'empire une Magistère ? Et puis quoi ? Penses-tu sincèrement que notre père laissera faire pareille aberration ? Je savais que te laisser étudier ici était pure folie. Mais quand notre mère est morte je... » Elle se ravisa. Elle ne pouvait s'étaler plus sans perdre la face. 

« Rentrons ! » Eleanor une main sur sa joue endolorie et rougie de douleur, l'autre sur la hanche se campa fermement sur ses talons : « Non ! Je reste. » Cassandra devenait folle. Elle serra le poing et Eleanor s'attendit au pire. Mais Neil s'interposa pour lui éviter un autre coup, plus dur celui-là : « Eleanor. Je vous en conjure écoutez votre sœur et regagnez Victoria. Nous pouvons vous y protéger. Ici... » Eleanor le remercia avec toute la bienveillance qui la caractérisait. Pourtant elle ne revint pas sur sa décision. Phybraz lui aussi demanda : « Mais admettons que l'Empire y consente, comment comptez-vous marier votre devoir envers les Magistères et celui envers votre sang, envers l'Empire ? Comprenez-vous le caractère presque inconciliable de ces deux chemins ? » Elle se surprit à penser à Yoroï qui devait la tuer mais avait réussi à s'en dissuader. « C'est parce que je m'en rends compte que je dois le faire. Je suis la seule à pouvoir construire ce pont entre nos deux pays. J'aime Victoria et je reconnais dans le Pacifique une terre d'accueil. Je veux devenir le lien qui unira nos deux pays ! Je serai la première et peut-être pourrai-je former à mon tour d'autres personnes dans cette optique d'échange et d'ouverture... » Alors Cassandra se rappela. Elle se remémora les mots de Sophia Justinia d'Auyn à la bibliothèque universelle. Le passé. Les étudiants, les apprentis. Avait-elle dit la vérité ? Si oui alors cette voie avait déjà été empruntée des années auparavant et abandonnée. Père était-ce ton but lorsque tu te mêlais aux étudiants de cette Faculté Universelle ? 

Cassandra changea dés lors complètement d'attitude : « Soit. Si tel est ton chemin. Ne le regrette pas Eleanor de Victoria. Ma petite sœur... » Comme pour asseoir ce qu'elle venait de dire la première princesse de l'Empire prit congé dans les secondes qui suivirent, tourmentée et pensive. Son poing tremblait comme gronde le tonnerre. Tous purent admirer et se rendre compte combien la volcanique Cassandra de Victoria s'avérait aussi capable, comme la femme de guerre qu'elle demeurait, d'une maîtrise d'acier lorsque la situation l'exigeait. Lorsque le cœur l'exigeait... Omi souriait toujours, satisfait. Arthulian n'avait lâché mot jusque-là. A quoi pouvait-il bien penser se demandait Neil ? Puis comme si le Magistère au mille visages il l'avait ouïe y songer il interpella Eleanor : « Ce manteau... Il était bien blanc et empli d'énormes nuages bleu-foncé ? Une lune noire sur le cœur ? » Eleanor répondit par l'affirmative et précisa que les étoffes lui montaient jusqu'à la base du nez. Qu'un bandeau bleu ciel lui lézardait le front et qu'en dessous ses atours étaient du noir d'encre le plus sinistre. Le Magistère sembla fort inquiet et préoccupé. Elle lui demanda ce que signifiaient ces symboles. Il consentit à répondre sous l'œil concentré et avide du reste de ses interlocuteurs : « La lune noire... La plus dangereuse des visions du livre des transformations... Et le plus funeste des projets jamais envisagé dans ces îles millénaires.»   

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant