ROLANN II

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Comme promis le lendemain très tôt Irneh se présenta. Rolann était prêt. Il avait troqué sa tenue de la veille pour des étoffes plus draguiennes... Tout de noir et de rouge bordeaux il se sentait bien. Ces habits malgré leur coupe sensiblement fine, prêt du corps, étaient étonnamment souples. Ils permettaient une véritable liberté de mouvement. Une veste à ceinture et un pantalon. Chaussures de cuir noires. Le tout brodé de liserés rouge et doublures bordeaux. Sur sa poitrine un emblème rouge et circulaire représentant trois phœnix en spirale. Il s'agissait de l'uniforme des étudiants militaires.

Celui-là s'avérait pile à sa taille... En se défaisant de ses effets la veille au soir il s'était aperçu que le masque gagné dans la maison de thé était dans l'une des poches intérieures de sa large veste. Quand l'avait-il prit ? Il ne s'en souvenait plus. En tous cas il l'avait laissé sur sa table de chevet. Avant d'aller en cours à la fameuse École Royale de Menez Draguan ils s'arrêteraient à l'Illy-Ös, établissement et restaurant où les étudiants avaient l'habitude de se retrouver, portant le nom du grand soleil en draguien ancien. Situé à quelques pas de l'école et bordé d'un côté par l'un des nombreux canaux de la ville et de l'autre par un énorme parc, c'était une place de choix.

En entrant il l'aperçut. Une jeune femme attirait toute l'attention et brillait par son aura, son charisme. Quelle attitude, quelle présence. Quelle ne fut pas sa surprise quand il se retrouva assis en face d'elle. D'abord pas un mot. Puis elle le toisa et finit par s'exprimer. « Où étais-tu maudit ? » Il sursauta et regarda ses amis avec des yeux emprunts d'embarras et de questionnement. Qui était-elle ? Irneh murmura à Iperio que là, ils découvriraient s'il faisait semblant ou non ! Alors que cette fille le cuisinait pour découvrir où il avait disparu pendant tout ce temps il réfléchissait de tout son être pour deviner qui elle pouvait bien représenter pour l'autre Rolann. Et puis un peu gauchement, sans penser à mal, il posa cette question idiote. « Sommes-nous amants ? »

Irneh se précipita alors sur l'interlocutrice et Iperio tira Rolann assez vite pour que le coup de bottine qui rasait la table ne lui emporte pas la moitié du visage ! « En fait tu me cherches ! », dit-elle avec cruauté. Une voix amie lui chuchota qu'il s'agissait de sa cousine Julia, la fille de la tante qu'il devait rencontrer... Le regard qu'Iperio lança à Irneh s'avérait lourd de sens. Ce Rolann, d'où qu'il fut et qui qu'il fut, ne faisait nullement semblant. Il faudrait l'éduquer au plus vite sinon il créerait des carnages inutiles. Les draguiens ne brillaient ni par leur sens de l'humour ni par leurs dispositions naturelles aux compromis. Rolann sans bien comprendre tout ce qu'il avait provoqué s'excusa machinalement et tout rentra dans l'ordre. Julia passa sa main dans ses abondants cheveux d'or, brillants, lisses et fins, puis continua. Où avait-il été, pourquoi avait-il disparu tout ce temps et surtout comment osait-il reparaître ainsi sans en avertir sa tante ?

Rolann commençait à franchement s'agacer. Rendre des comptes, toujours. À Kyoto il fallait se plier et honorer le testament paternel. Écouter les recommandations d'oncle Michael et les critiques de Shun. Et là encore, alors même qu'il remplaçait un inconnu providentiel, il devait tout de même sacrifier à la sempiternelle ritournelle et aller s'aplatir devant il ne savait quelle tante. C'en était trop. Il craqua et répondit que non. Il n'irait pas se vautrer devant sa tante, qu'il avait dû recevoir un coup trop fort et qu'il ne se souvenait plus de rien.

Julia jura et maugréa. S'il ne consentait même pas à cela, comment pouvait-il oser profiter de sa mère ainsi alors qu'elle gérait pour lui l'héritage familial ? Une lumière noire lui traversa l'esprit. Comme s'il disait enfin tout ce qu'il n'avait jamais pu s'avouer avant. Il répondit non sans assurance qu'il n'avait rien demandé et qu'il pouvait fort bien gérer seul ses affaires. Que si sa tante voulait se délester de cette charge il en serait ravi, et qu'il ne devait rien à personne. Il était libre bon sang ! Oui libre... En fait et concrètement il ne supportait plus l'autorité. Irneh impassible sourit. Ce garçon-là n'était peut-être pas leur ancien ami mais il pourrait se révéler bien plus intéressant au fond.

Julia s'empourpra et répondit qu'il ferait comme bon lui semblerait. De toutes les manières cela ne la regardait pas directement et ces histoires de famille la fatiguaient au plus haut point. Néanmoins il restait une inconnue sur laquelle il devrait se prononcer. Qu'en était-il de l'Épreuve du Pacifique ? Allait-il oui ou non la passer avec eux ? « L'épreuve ? » Qu'est-ce que c'était encore que cela ? Depuis qu'il avait dit non la première fois et qu'il comprenait qu'il pouvait avoir un minimum de pouvoir décisionnel, il n'avait envie que d'une seule chose : se braquer. Il dit sans surprise qu'il ne voyait pas pourquoi il passerait cet examen.

Julia cette fois-ci se leva et lui agrippant le col le menaça. Il n'était qu'un couard, un pleurnichard, un peureux ! D'abord il avait fui, ensuite il faisait preuve de la plus grande ingratitude et maintenant il refusait de participer à l'événement le plus important pour tous guerriers dignes de ce nom. Comment voulait-il devenir Juge s'il était incapable de réussir cet examen majeur ? Une autre Shun se dit-il en se défaisant facilement de la prise, plaçant une clé de poignet. Les réflexes du dojo refaisaient surface. Preuve que ses angoisses s'estompaient. Disparaissant au dehors les mains dans les poches il s'emporta :

« Lâche-moi veux-tu ? Je ne demande pas grand-chose, juste la paix... » Une fois à l'extérieur il se sentit réellement débile. Les seules personnes qu'il connaissait, il se débrouillait pour se les mettre à dos. Julia semblait quelqu'un de bien même si son caractère restait trop fort à son goût. Irneh et Iperio de francs et bons amis il l'aurait juré. Oui mais il ne pouvait supporter qu'on lui dise quoi faire, quoi penser. Il avait passé sa vie à se mentir pour ne pas froisser les uns, agréer aux autres.

Là il ne connaissait personne et ne leur devait rien. Malgré la dureté de leurs mœurs il pouvait se permettre de dire non. Cela n'avait pas de prix. Qu'ils le traitassent de fuyard ou de pleutre. Qu'en avait-il à faire ? Le dos voûté comme s'il portait le malheur du monde il avançait dans la ville. Dans un sens changer de décors ne changeait pas du tout ses problèmes : il continuait à avoir l'impression que personne ne le comprenait. Au bout de ses doigts il sentit le contact rassurant du cuivre qui s'emboîtait, des demi-cercles qui se liaient les uns aux autres. Son casse-tête. Toujours sur lui après tout...

Au milieu de l'Illy-Ös Julia fulminait. Pourquoi ne voulait-il pas venir, pourquoi ne voulait-il pas l'accompagner ? Elle se plaignait à Irneh. Ce dernier souligna que si c'était là la seule chose qui la dérangea alors tout allait bien. N'avait-elle pas remarqué un changement chez Rolann ? Elle répondit que non. Il ne daignait toujours pas venir. Irneh lui demanda si ses positions vis à vis de sa tante ne lui semblaient pas étonnantes ? Elle marqua un temps et répondit que oui, sans doutes. Il soupira...

Décidément les femmes l'étonneraient toujours. Grisé il lui demanda : « Connaît-il les sentiments que tu lui portes ? » Il savait que ce Rolann ne pouvait les comprendre mais il voulait savoir si elle lui avait jamais ouvert son cœur... « Non » dit-elle. « Tu espères sans doute qu'il les devine. Écoutes-moi Julia, tu peux te répandre autant que tu le souhaites, si tu ne les lui avoues pas, tes sentiments demeureront ce qu'ils sont : une explosion de possessivité que tu es incapable de contrôler. » Comme s'il s'y était préparé il évita le coup de poing de la belle amazone et recula de quelques pas. « Médite là-dessus ! » Lui aussi disparut, il fallait retrouver Rolann. Ce dernier était comme un nouveau-né au milieu d'une meute de fauves. Me voilà nourrice maintenant, il s'en amusa et fut rejoint bientôt par Iperio.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant