Cassandra II

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Ils furent installés de sorte que le cercle se referme sur leur position sans qu'ils soient au milieu mais partie intégrante de l'anneau. Le petit homme bedonnant et aux allures gaies une fois assit parla le premier. « Alors voici ce que Victoria compte dans sa jeunesse de plus abouti et de plus contrasté. L'explosive Cassandra de Victoria, première princesse de l'Empire, fer de lance de l'Ordre chevaleresque du Lion, général en chef de l'armée de l'ouest et nouvellement auréolée du titre, mérité se dit-il, de Dominateur. Non contente d'assumer ces charges pour votre jeune âge vous vous targuez d'avoir été sacrée du titre de vice-reine de la quinzième province de Parnéa ? Excusez ma naïveté mais pensez-vous que tout ceci soit bien nécessaire pour une seule et même personne ? » Personne ne rit ni n'esquissa le moindre sourire. Phybraz fut légèrement piqué au vif mais il craignait surtout la réaction de sa princesse... Contre toute attente elle répondit avec calme qu'elle entendait le questionnement et admettait volontiers qu'elle se serait contentée de son triomphe, effectivement mérité. Les titres ne valaient pas plus que ceux qui y accordaient de l'importance, et selon elle peu de choses...

Réponse franche et directe, sans fioritures. Là son interlocuteur sourit et Phybraz souffla de répit en imaginant ce qui pourrait advenir si par malheur il rentrait à Rose- Lion, cité du Palais des Camélias, en ayant failli à sa mission... Nul doute que l'Empereur ne goûterait pas cet échec. Lui non plus du reste. Alors qu'il en était là de ses préoccupations une personne qu'il ne connaissait guère s'invita et obtint sans peine une place dans le cercle. Non du côté des invités, mais au sein même des Magistères... Pourtant sa tenue jurait avec la leur. De blanc immaculé et d'or, un surplis laissant apparaître de rares coutures rougeâtres. Une blondeur lisse presque blanche et une dureté rare dans un regard d'acier. Elle salua leurs hôtes en se baissant légèrement et lâcha un hochement de menton presque imperceptible aux deux victoriens. Il ne fallut pas longtemps à Phybraz pour comprendre qu'il s'agissait de l'un des cardinaux de l'ordre de l'Aurore. Et non des moindres... Cette blondeur sèche, cette aura plus lourde que l'acier, ces yeux d'un bleu plus froid et intense que celui des plaines de Sinorjieva l'oubliée. Mais celui qui semblait commander ici l'introduisit non sans plaisir : « Sophia Justinia d'Auyn, Cardinal de l'Église de l'Aurore. Nous avons pensé que sa présence pourrait alimenter positivement notre discussion de ce jour. Qu'en pensez- vous ? »

Avant que Cassandra ne s'exprime Phybraz se jeta plus qu'il ne répondit : « Mais cela ne nous gêne pas le moins du monde. Avoir l'honneur de s'entretenir avec la très réputée Reine de fer me semble au contraire judicieux dans la mesure où notre ambassade a pour objet l'équilibre des forces... » Il fut coupé par une voix féminine confiante et habituée à commander. « Qu'en pensez- vous princesse ? » La fameuse Sophia s'était délibérément adressée à Cassandra comme si lui ne comptait pas. Elle représentait par son sang et son statut l'essence de Victoria. Il fallait et rapidement faire comprendre qui commandait réellement cette ambassade. Il était mandaté par William lui-même, Cassandra l'ignorait peut-être, mais pas lui. Il entendit cette dernière répondre de manière assez détachée qu'elle n'y voyait guère quelque inconvénient que ce fût, après tout Victoria s'inquiétait du monde dans son entièreté et les Neuf Pays pourraient tous être présents s'il le voulaient... Bien que l'Église de l'Aurore ne représenta pas un état en soi. Ah ! Cette chère Cassandra. Toujours prête à l'estoc. Mais ce coup-ci elle lui ouvrait une brèche. Il comptait s'y engouffrer puissamment.

« Si je puis me permettre... » Il inspira et comme à son habitude laissa régner un peu de silence avant de continuer, habillant ainsi le temps et l'espace de sa présence : « J'aimerais attirer votre attention, chers représentants de l'illustre Ordre des Magistères et de l'Église de l'Aurore, sur le fait que cette délégation est à but clairement plénipotentiaire et qu'en conséquence il ne saurait être tenu compte de la nature martiale des récents hauts faits de la première princesse de l'Empire qui est présente non en tant que militaire, mais en tant que membre de la famille impériale. Par ailleurs je suis l'ambassadeur chargé de ces négociations et, puisque je m'y vois contraint, je me permets de souligner qu'en tant que membres permanents de la Chambre Suprême de l'Empire nous sommes à même de transmettre en personne à l'Empereur vos observations potentielles. Enfin je suis vice-gouverneur de la cinquième province de l'Empire, l'Arlénon, et duc du duché du même nom. Comme vous le savez sans doute je porte également le sang des preux ayant fondé Victoria. Peut-être les titres ne comptent que peu pour les sages que vous êtes, mais considérez que le temporel est à la source de la structure de notre sainte  patrie. En conséquence nos particules et nos statuts peuvent vous être utiles si votre souci, autant que le mien, demeure la préservation de l'ordre de Cétherlence. »

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant