Le Pacte du Roi Livre I

ELEANOR

Eleanor s'était endormie tard cette nuit-là. A peine quelques jours étaient passés depuis la fin de la troisième phase de l'Épreuve. Une fatigue extrême s'emparait de son être. Une lassitude  guère éprouvée alors qu'elle se battait et dirigeait son équipe sous les ombrageuses nuées vertes de la forêt des dalles. Ou même lorsque qu'elle luttait sur le parvis blanc, dans les cavités du Temple du Dragon d'Eau... Mais là ! Ses sens de même que sa conscience lui imposaient le repos. Elle fut aise pourtant de remarquer que ses amis et membres de groupe, dont elle avait naturellement pris la tête, réclamaient le même calme, un besoin similaire de tranquille relâchement. En conséquence ce soir-là, non sans avoir jusqu'à une certaine heure discuté avec ses récentes amies en les personnes de Nadia, Suzan et Hilda, elle rentra afin de se délasser. Au service désormais de la faculté Universelle, elle possédait ses appartements propres. Rien de comparable avec le luxe princier de Victoria, mais sobriété, finesse et esthétique ondulée habillaient d'une harmonie réelle les intérieurs des espaces dévolus aux étudiants. Elle se fit d'ailleurs couler un bain d'huiles et d'onguents spécifiques aux arts coutumiers de Kimôto. Bénissant les cours délivrés par la Magistère Serenity Teva qui comprenaient, outre l'étude des méridiens, des points vitaux, de l'acupuncture ou de la médecine paciféennes, l'art et la manière de délasser les corps meurtris. Fraîche, détendue, elle passa un certain temps à s'occuper de ses longs cheveux auburn. Ils étaient si profonds, si intensément riches d'essence que sous la lumière des reflets du soir, ils semblaient  presque violets. Face à un miroir ovale trop grand, ouvrage des meilleurs ébénistes de l'Empire en provenance du duché d'Arlénon, seul caprice qu'elle s'était autorisée dans sa retraite paciféenne, elle se cherchait une coiffe digne de son sommeil. Pourtant tous ces soins ne parvenaient guère à entamer l'objet de ses désirs : Shun.

L'idylle confirmée entre ce dernier et Izumi l'obsédait. Pourquoi fallait-il qu'il lui préféra cette petite présomptueuse imbue d'elle-même et de ses origines ? Elle la respectait certes, et ce depuis leur dernier combat, mais son élan pour Shun l'emportait sur la considération que désormais elle lui devait. Il fallait penser à autre chose. Elle se leva et s'affranchissant de la lumière ambiante décida de se coucher. Un sommeil profond, réparateur. Voilà qui lui ferait le plus grand bien. Elle s'abandonna donc à son exténuement et s'abîma dans le repos. Des rêves au travers desquels elle rencontrait un enfant venu de nulle part habitaient ses songes. Elle le prenait et le choyait, lui enseignait des arts dont elle ignorait jusqu'à l'existence, elle y voyait l'avenir du monde. Et puis ce garçon grandissait et devenait un homme. Il l'aimait et elle l'aimait en retour. Mais tout à coup le monde se partageait, la terre se fendait et le ciel s'écroulait. Des précipices ainsi créés émergeaient des nuées d'ombres qui emplissaient le ciel et s'abattaient sur les Neuf Pays. Elle criait mais l'homme ne l'entendait pas. Elle cherchait de l'aide mais se retrouvait esseulée, abandonnée à son sort. Alors elle hurlait, elle s'époumonait et se retournant le garçon lui souriait disparaissant. Elle se réveilla en pleine nuit ruisselante, en nage. Elle entreprit de se changer. Enfilant une nouvelle tenue elle entendit un craquement. Puis un deuxième. Enfin elle sentit un vent froid lui parcourir le visage. Pourquoi de l'air frais lors même que tout était fermé ? Elle se dirigea vers les ouvertures de sa chambre. Tout était clos. « Je délire... »

S'en retournant elle se dirigea vers sa couche. Là une main noire lui coupa la respiration et l'autre la bloqua contre le mur le plus proche. Son corps fut parcouru et fouillé. Puis l'ombre l'amena contre le lit et l'immobilisa. Il y avait malgré l'agression une sorte de douceur dans ces gestes. Comme si ces ténèbres ne voulaient pas réellement lui faire de mal. Mais Eleanor n'était plus la frêle princesse sans défense de son enfance. Ni même de ces derniers mois. L'Épreuve avait fait d'elle une battante, en tout cas une adversaire de taille pour quiconque la sous-estimerait. Usant de sa connaissance des points vitaux elle se dégagea et frappa méthodiquement aux angles et aux articulations de son assaillant. Il lâcha. Il ne semblait pas entamé. Un moment la lumière stellaire pénétrante découvrit une silhouette habillée d'encre la plus sombre, un visage caché par un manteau dont le col couvrait jusqu'aux yeux et un bandeau bleu azur découpant son front. Des cheveux châtain-gris coiffaient son chef. Il était grand et puissant. Brodés sur le manteau des nuages bleu-foncé sur fond blanc disparates recouvraient la quasi-totalité du tissu. Sur la poitrine, à la place du cœur, une lune noire lugubre brodée. Cet homme venait pour la tuer elle ne pouvait plus en douter. Elle adopta une attitude défensive et se concentra afin d'user de ce qu'elle connaissait du Pouvoir. «Je dois le tétaniser grâce à l'acupuncture de Kimôto, je... » Elle n'eut guère le temps de compléter sa pensée. Étalée sur le sol la main obscure lui étreignait le cou. Elle ne l'avait pas même vu bouger. Comment pouvait-il se mouvoir avec autant d'aisance et de vitesse ? A ce moment précis elle comprit que la différence de niveau entre eux s'avérait immense. Cet homme avait au moins le niveau d'un Magistère. Voir même d'un haut Magistère...