Eleanor. Comment avait-elle pu ne pas penser à son sort en premier lieu ? Elle n'en avait simplement guère eu le temps. Elle devait la sauver, il fallait la rejoindre. Elle aussi sauta. Mais le Leo II était déjà dans l'eau profonde. Défiant toute logique militaire elle nagea jusqu'au rivage proche. Jeffrey lui intimait de revenir. Neil l'aperçut et la tirant de l'eau lui dit sans ménagement : « Vous comporter de la sorte par amour fraternel... Vous êtes un vrai danger pour l'Empire général ! » Cassant et froid tel le faucon. Elle répondit sans honte : « Je tiens du lion, pas du rapace, mes passions l'emportent toujours ! » Un rictus plus tard ils débutaient un duo sanglant d'une efficacité redoutable. Mais un vent d'une violence de lame balaya leur avancée. Reculant pour se protéger le visage Cassandra aperçut tout de même l'objet de leur recul: le vaisseau immense identifié plus tôt, celui de classe Angel qui faisait écho à ce qui se développait en secret dans l'Empire, ce même vaisseau splendide apparaissait là, devant eux. Sa coque s'entrouvrit et elle devina des silhouettes. Un homme couvert de pied en cap de noir, de coutures d'or et de bleu de nuit semblait les narguer. Il était accompagné de quatre autres silhouettes tout aussi fières. Son masque noir rigide lui couvrait le haut du visage et laissait libre sa chevelure châtain bouclée. Le reste du visage, du nez à la mâchoire était lui aussi couvert mais de gris foncé et d'un tissu laissant deviner la forme du menton. La facture du masque semblait exceptionnelle même de loin. Son uniforme lui rappelait celui des Chevaliers victoriens, des épaulettes rouges foncées lui protégeaient les épaules, un vaste manteau du noir le plus prononcé rehaussé de lignes d'or le drapait dans le vent et une veste de type impérial du même ton lui moulait le tronc, serrée par une ceinture sombre au cuir lui aussi surhaussé d'or. Son pantalon d'encre descendait droit sur ses éperons tout aussi noirs. Un signe qu'elle ne déchiffrait pas flanquait son torse.
Quelle beauté tragique, quelle prestance. Les acolytes présentaient les mêmes atours, moins recherchés cependant. Leur masque se contentait de couvrir le haut du visage et non le bas. L'on ne pouvait les reconnaître pour autant. La main du prince ténébreux s'éleva et toute la plage, non tout Kimôto sans doute, eut pu entendre la voix qui accompagna ce geste : « Hommes et femmes puissants de ce monde, décideurs de Cétherlence, je vous combats et vous condamne ce jour. Vous qui croyez, drapés dans le bien être de cet équilibre de façade, que cette ère durera toujours je viens vous éveiller et vous libérer ! Vous qui n'acceptez pas le changement blottis dans les mensonges immémoriaux je vous punis. Et pour ce faire je viens dans l'épreuve profaner votre tradition de pacotille, je viens me rebeller pour un monde demain meilleur et égalitaire. Ceux qui ne trouvent ni refuge ni protection, ceux qui sont rejetés et qui n'acceptent plus ce système trop vieux, enfin ceux qui ont toujours su au fond d'eux-mêmes que ce monde contenait les germes d'un immobilisme figé, à vous j'ouvre les bras ! Nous, Justice, serons votre famille, votre patrie. Moi, Saviour, serai le symbole auquel vous référer, le salut d'un monde meilleur, votre espoir pour demain, le héraut de la multitude révoltée ! Pays de ce monde, les Neufs grandes nations et toutes les autres, je vous condamne pour mensonge éhonté, délit et abus de pouvoir. Nous sommes le cri indigné des faibles, nous sommes les protecteurs des démunis et des laissés pour compte : Nous sommes Justice ! » Le vent qui soutenait sa cape semblait annoncer un changement d'ère. Les bras désormais croisés, cet envoyé de l'obscur, ce protecteur des faibles autoproclamé, ce Saviour semblait observer satisfait l'immensité de son œuvre. L'énormité et l'outrageuse démence de son projet. Neil ne réagit pas tout de suite, tiraillé entre l'admiration et la stupeur la plus forte.
Cassandra serra son épée. Comment osait-il mettre en porte-à-faux la puissance et la légitimité victorienne ? Comment osait-il bafouer l'héritage du sang de Victor ? Elle se rua et pointant son arme sur les silhouettes noirâtres s'époumona agressive : « Toi là-bas ! Je ne sais ce que tu as utilisé pour que l'on t'entende de la sorte mais sache que tu ne nous impressionnes guère. Un gesticulateur comme toi ne saurait remettre en cause un ordre établi depuis des millénaires. Il ne suffit pas de se répandre. Encore faut-il pouvoir l'assumer. Tu te dis défenseur des opprimés lors que tu attaques sans crier gare, comme un lâche, une île pacifiste durant l'Épreuve sacrée. Tu oses te présenter de la sorte, protégé par tes hommes, sans titres aucuns, et te moquer du très saint Empire victorien. Tu crois être de taille ? Viens donc, pied à terre, me prouver ce que tu déclares ! Viens donc me montrer qui est Saviour, un clown ou un héros ? » Neil n'en croyait tout simplement pas ses oreilles ! Était-ce Cassandra ? Où avait-t-elle apprit à provoquer de la sorte ses ennemis ? Avec autant d'orgueil que de fines insinuations ? Il était vrai qu'il n'avait guère participé aux campagnes de l'Est... Elle avait grandi. « Princesse... ». Saviour sembla lui donner de l'importance, de la considération. Derrière son masque on aurait juré qu'il l'observait. Puis l'inimaginable. Le vaisseau atterrit et il mit effectivement pied à terre ; il marcha d'un pied alerte et volontaire, pourtant sans se presser. Derrière lui quatre personnes masquées avançaient sur un rythme similaire. La voix d'oracle se fit encore entendre. Le timbre en était cependant plus accessible, moins omniscient. Du reste seules les personnes proches perçurent ce qu'il disait. Sur les différents lieux d'escarmouches et de combats, les adversaires s'étaient arrêtés dans leurs élans, abasourdis par le discours encore frais dans les esprits.
Saviour croisa encore les bras, dominateur, les pieds enfoncés dans le sable : « Qui es-tu victorienne ? Je vois à tes atours que tu es noble. De haut rang par ailleurs... » Cassandra trancha net, ivre d'arrogance : « Je suis la première princesse de l'Empire, général des armées de l'Est, commandant de l'Ordre du Lion, Dominateur des nouvelles provinces annexées de Parnéa : Cassandra de Victoria ! » Elle se cambra, écarta les jambes et le poing sur la hanche pointa avec Lion Heart son épée, le dénommé Saviour : « Et toi ! Qui es-tu réellement ? » Saviour ne répondit pas. Un gloussement imperceptible lui parcourut le corps. Neil se tenait la tête de dépit. Maintenant qu'ils savent qui elle est, le véritable combat va commencer. Que ne peux-tu des fois réfléchir Cassandra... Saviour dit tout haut : « Voyez-vous cela... La princesse impériale Cassandra de Victoria. La lionne aux cheveux ardents... Il va falloir que Saviour salue ton courage et ta témérité. En garde général ! » Il avait tiré sa rapière. Noire comme l'encre, elle recevait une garde d'or rouge. Il fit un signe et invita son adversaire à l'attaquer. Folle de rage elle salua comme une victorienne et attaqua de tout son être. Neil l'appela, en la conjurant de ne pas tomber dans le piège mais il était trop tard. Et alors que lui-même s'élançait pour l'aider deux ombres lui barraient le chemin. Saviour commanda assez fort : « Alioth et Mizar occupez-vous de la ville. Phecda et Dubhe contenez le Faucon victorien. Merak derrière moi, protège nos arrières. Moi je vais chasser la Lionne... » Sans un bruit ils obéirent. Une envie de sang, de meurtre était palpable entre ces deux belligérants. Pourtant Saviour marqua un temps et dit sans ménagement : « L'ordre et la légitimité de l'Empire hein ? De la famille victorienne tu veux dire je suppose ? Tu ne sais rien.... En garde ! » Avant que la phrase ne soit finie la lame noire fendait l'air et Cassandra vit l'estoc se rapprocher de son cœur. Sa dernière pensée fut pour Eleanor. Saviour expira et murmura : « Je vais t'apprendre le désespoir... » Neil aux prises avec ses adversaires observa une ombre profonde qui s'abattait sur une lionne. Il s'époumona : « Princesse ! »
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...