Sophia était figée. Bloquée eut été plus juste. Alors que la ville, son ancienne cité, sombrait sous le poids du nombre elle n'arrivait pas à décider quoi faire. Mais pourquoi ? Pourquoi là ? Était-elle maudite ? Tremblante, se dessinait devant elle un tableau qu'elle ne connaissait que trop. Les pleurs et les larmes, la douleur de perdre et l'injustice du destin pervers. Qui étaient ces hommes ? Pourquoi des soldats qui portaient les couleurs de Rokku participaient-ils à cette bataille ? Et les autres ? Sombres combattants venus des abysses de ses souvenirs... Ces traînées bleues de nuit sur champs blanc et cette lune noire arborées sur ces manteaux d'une facture toute particulière. Qu'est-ce que cela lui rappelait ? Prisonnière de ses peurs elle se remémorait l'attaque du Temple de l'Eau quelques années plus tôt, presque quinze ans en arrière. Les flammes, l'odeur du bois qui rompt sous la chaleur, les hurlements des apprentis, prisonniers des flammes. Le deuil. L'histoire allait-elle se répéter ? Non, non et non ! Elle ne laisserait pas ceci se reproduire. Pas de son vivant. Il fallait réagir. Mais la terreur de vivre de nouveau ces moments effroyables la paralysait. « Je... Il faut que je... » Elle fut tirée de ce rêve éveillé par une voix de roc familière : « Sophia ! Allons. Sophia ! » Elle se reprit. En face et exterminant quiconque s'essayait à s'approcher du cardinal d'Auyn, Elnath le protecteur. « Reprends-toi Sophia ! » Elnath... Que deviendrait-elle sans lui ? Il avait toujours été là. Toujours. Gardien veillant sur le moindre de ses gestes, mêmes les moins avouables. Elle inspira fortement puis s'exprima : « Suivez-moi ! Je dois protéger le Temple... Nous partons pour les hauteurs de l'île, au Temple de l'Eau ! » Silence. Elnath désapprouva. Il fallait fuir. Prendre les eaux par l'Ouest, là où il subsistait encore un moyen de s'en sortir et rejoindre le Palais de l'Aurore au nord de Menez Draguan. Sophia coupa sèchement : « Nous allons à l'Est. Mais nous protégerons d'abord cette île. Je ne permettrai pas qu'une autre tragédie se produise, dussé-je y la laisser ma propre vie. » La Dame de Fer était revenue... Cela contrariait son géant de protecteur mais quelque part le rassurait également. Avec Sophia en pleine possession de ses moyens ils pourraient survivre. « Bien excellence... »
Alors protégeant le Cardinal, les moines-soldats de l'Ordre de l'Aurore et leur commandant, le Chevalier Elnath de Mégres, les prêtres et autres serviteurs se frayèrent un chemin douloureux et sanglant au travers des combats. Sophia sentait son pouls s'accélérer. Elle avait peur. Terriblement peur. Non des combats, rompue qu'elle était aux arts de la guerre. Mais bien que l'histoire ne se répète. Les blessures qui en résulteraient l'achèveraient plus surement que la plus acérée des lames. Qui ? Pourquoi enfin ? Sacrilège que la profanation de cette trêve immémoriale et rituelle de l'Épreuve du Pacifique. Qui oserait se salir au point d'en arriver à cette extrémité maudite ? Alors un visage lui apparut. Des yeux de glace qu'elle avait tout fait pour oublier, des traits d'une beauté anormale, presque céleste, qu'elle avait volontairement effacé de sa mémoire. Un souvenir interdit qu'elle avait enfermé dans les cages du ressentiment de sa mémoire. Et ce sourire froid, sûr de lui et volontaire. Lui ? "Lui ?" Lui ? Qui d'autre ? Qui pouvait sans sourciller tramer cette grotesque attaque et en éprouver un plaisir déraisonnable, malade ? Qui pouvait étendre les ailes de son influence lugubre pour le seul plaisir de le faire tout en pliant à sa tranchante vérité les autres de ce monde ? Elle ne voulait pas. Elle ne s'autorisait guère à prononcer ce nom, ce mot fait tabou. Elle s'évertua à se persuader qu'il ne se pouvait. Alors contre toute attente ce qu'elle fuyait s'exprima malgré elle. Elnath venait d'enfoncer son épée au travers d'un assaillant. Celui-là arborait quelques nuages bleus de nuit et cette lune noire. Il l'observa un moment puis souffla ce qui ne pouvait plus demeurer tu : « Sophia. Je sais ce que tu ressens mais tu l'as compris comme moi. Cette aura, cette façon de faire, cet opportunisme trop parfait. C'est lui n'est-ce pas ? » De la peur Sophia passait à la colère. Une rage sourde et extrême qui provoquait des larmes en ses pupilles et un grincement de dent jusque là inconnu chez elle. Le poing tremblant elle étouffa un cri : « Faith... »
Au fond d'elle-même, elle avait toujours su que c'était lui. Mais elle ne voulait guère se le concéder. Seul Faith pouvait mettre en scène ce genre de pièce de mauvais gout. Alors elle sortit de ses gonds et pendant que l'homme passé au fil de l'épée agonisait elle l'attrapa par le col : « Qui est votre chef ? Qui est ton maître ? Réponds !!! » Le pauvre mourant laissa échapper un râle en souriant : « Il avait prédit que ce serait le cardinal d'Auyn qui réagirait... Ahahaarghh » Un épais filet de sang huileux s'échappa sur les atours blancs platine de Sophia. « Nous ne savons rien du maître. Ni son nom, ni ses origines. Il est juste... Arghghghg... Le... Le maître. » Les yeux révulsés et absents l'homme venait de passer de vie à trépas. Elle le lâcha comme un rien et obsédée dit sans gentillesse aucune : « Nous partons pour le temple. » Elle venait de terminer sa phrase quand un corps fut projeté à leurs pieds, au milieu de leur groupe. Ses atours bruns semblaient fumer. Un homme s'avança en réajustant ses lunettes : « Excuse-moi Sophia mais vous êtes sur le passage des Magistères. Que faites-vous ? » Arthulian Edgemaster. A voir le pauvre qui agonisait, il s'était lui aussi quelque peu lâché. Chose rare... « Arthulian ! Que signifie ? Que se passe-t-il ? Pourquoi ces hommes de pays différents dirait-on ? Et... » Il trancha net. Lui expliquant la situation en quelques mots. « Je gagne le front de l'Est. Qinn Loguard, Serenity Teva et Gaies Heavystone sont partis les premiers. J'assure leurs arrières avant de les rejoindre. Julia les accompagne... » A ces mots Sophia se crispa. Son unique fille... Mais elle demeurait une draguienne. Elle serait une guerrière, peut-être même Juge un jour. Elle ne pouvait échapper aux combats.
Arthulian reprit : « Par ailleurs je pense savoir qui se cache derrière tout cela. J'espère me tromper pourtant. » Sophia martela non sans haine : « Faith ! Oui je sais. » Il réajusta ses lunettes satisfait : « Tu t'es obligée à le dire. Bravo. Je suis admiratif. Tu vas au Temple je suppose ? Inutile. Nous avons fait évacuer les lieux. C'est la première chose qui a été décidée. » Cette nouvelle rassura Sophia mais n'entama pas sa nervosité. « Je pars pour le front Est. Que fais-tu ? Si tu veux les protéger va vers le Sud-Ouest. Ils se dirigent vers l'annexe du Temple, aux Ailes du Dragon. » Les Ailes du Dragon... Cet autre temple bâti avait l'allure de deux ailes de bois qui s'envolaient à cause du toit en forme de haut-vent. L'intérieur était un véritable labyrinthe. Choix judicieux de retranchement. Et puis il avait été construit après l'incendie du Temple de l'Eau. Peu de gens connaissait avec exactitude les circonvolutions de ses espaces intérieurs. « Bien. Omi... ? » Arthulian expliqua qu'il dirigeait le convoi, accompagné de ses proches Magistères et de la garde du Temple. Par ailleurs Milo Acerbo, Khlea Summerset et leurs disciples les accompagnaient également. Leur mission était d'enfermer dans le temple les jeunes apprentis puis d'en défendre à mort l'entrée s'il le fallait. Les autres hauts Magistères dirigeaient les batailles au centre de l'île, au Temple de l'Eau lui-même et sur le front de l'Est, là où les combats faisaient le plus rage. Après quelques secondes de réflexion Sophia fit volte-face : « Nous allons aux Ailes du Dragon. Nous devons protéger les apprentis et leur avenir. Je ne laisserai plus jamais la tragédie d'il y a quinze ans se reproduire. » Arthulian sourit et avant de les quitter s'adressa à Sophia : « Je te reconnais bien là ! Voilà la Sophia de mon enfance !!! Bon courage pleurnicheuse ! » Pleurnicheuse. Ce surnom... Des années qu'elle ne l'avait entendu. Cela lui donna du courage. Elle répondit tout-de-go : « Toi aussi le froussard ! » Arthulian réajustant ses lunettes rectangulaires livra un imperceptible rictus. Les dés étaient jetés. Sophia rejoindrait le front qui s'organiserait au Sud-Ouest et défendrait l'avenir du Pacifique jusqu'au bout. Les enfants ne devaient pas périr. Pas comme le drame survenu quelques quinze ans auparavant... Elle se teint fermement en tête de ses hommes, concentrée. Plus jamais...
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...