Un étudiant ? Là ? A ce moment ? Il avait formulé cette idée lors de leur première rencontre mais ne s'y était guère préparé. Il fallait donner une réponse rapide. Il balbutia quelques mots. En fait d'étudiant il l'était déjà à Kyodaï et puis... Sombre idiot. Il n'y avait plus de Kyodai, de Kyoto ou de Japon. Le voilà au bout d'il ne savait quel monde n'ayant pas franchement de moyen d'espérer retrouver les bancs de son université. Tout bien réfléchi il s'agissait d'une chance inestimable que d'appartenir à une structure universitaire.
Encore faudrait-il s'en montrer digne mais il avait le temps de se préparer. Espérons-le en tous cas. Il opina le chef et dit avec humilité qu'il acceptait. Les yeux noirs l'observaient. Serenity ne put s'empêcher de le lui dire : « Shun je ne sais si oui ou non tu as perdu la mémoire ni ce que tu caches mais une chose est sûre tu es fait pour évoluer au sein du Savoir du Monde. » Il apprit que c'était là l'autre nom de l'Académie Universelle. Quel nom pompeux se dit-il...
Ces Magistères semblaient fiers et forts contents d'eux, malgré une ingéniosité calculée pour ne pas le montrer. Il précisa tout de même qu'il ne possédait rien dont il se souvint et qu'il ne pouvait s'acquitter de droits éventuels. Il lui fut répondu que les étudiants choisis par les Magistères ne s'acquittaient de rien. Tout était pris en charge. Et ce faisant on leur appartient. Pourquoi le choisissait-on ? Il décida là encore de garder ses questionnements pour plus tard. Il le saurait bien assez tôt, c'était incontournable.
Il changea de chambre. Désormais il habiterait le quartier des hommes, séparé très franchement de celui des femmes. Quel ne fut pas son émoi quand il comprit que la lance des dieux commençait géométriquement sur une ligne virtuelle qui traversait le campus et le séparait en deux. En tous cas du point de vue des chambres estudiantines. Le turquoise pour les hommes, le nacarat pour les femmes. La réciprocité lui parut tout de suite moins pertinente mais soit. Toge turquoise brodée de blanc, pantalon blanc.
Voilà les couleurs de L'Académie Universelle qui lui seyaient diablement bien, il fallait tout de même l'avouer, rehaussées qu'elles étaient par sa chevelure sombre et généreuse, lisse. Dès lors il fréquenta lui aussi les classes, alors qu'il ne les avait perçues que de loin derrière les portes ou les ouvertures vitrées. Des amphithéâtres somme toute classiques. La différence majeure résidait dans le soin très particulier porté aux nervures, à la modénature discrète mais élégante. Heureusement qu'il comprenait la langue.
Ce qui demeurait une énigme. Depuis quelques temps il se levait à l'aube et s'adonnait à ses exercices physiques quotidiens. L'envie et le besoin de les pratiquer lui étaient revenus le lendemain de son entretien avec la Magistère Serenity Teva. Le fait sans doute de se sentir engagé désormais, ou simplement une manière de saluer un équilibre nouveau. Il reprit donc cette routine qui jamais ne l'avait quitté jusqu'à ce qu'il se noie au travers d'un tourbillon d'eau improbable sur une plage de son archipel natal. Par ailleurs il se sentait tous les jours un peu plus fort, un peu plus à l'aise.
Les cours dispensés ressemblaient sensiblement à ce qu'il avait déjà connu à ceci près qu'il en apprenait de plus en plus sur ce monde et ses mœurs, son histoire. Un jour pourtant il assista à une classe de recherche sur le Pouvoir, notion abstraite, mystérieuse et quelque peu vague qui semblait tenir et relier toute chose dans l'univers. Mystique et obscurantisme. Il rit sous cape. Que l'on considère l'existence comme un tout, une unité physique, philosophique ou religieuse passait encore. Mais là ! Il se dit que malgré certains aspects étonnants ces gens conservaient des valeurs somme toute assez archaïques. Il prit sur lui d'écouter cependant, sans grande conviction.
En sortant de la classe il fut pris à parti. Cette fille rencontrée avec Eleanor, comment s'appelait-elle déjà ? Anami ? Asami ? Izumi ! Voilà ! Et son cerbère fidèle, Sakura... Izumi le provoqua, lui demandant s'il ne se sentait pas seul depuis qu'il avait perdu sa jolie maîtresse... Il ne répondit pas les gratifiant d'un regard dédaigneux. Puis feignant d'être pressé il voulut s'éloigner. Un attroupement s'était très rapidement créé autour d'eux. Poussant devant lui les filles qui essayaient de l'empêcher d'avancer il fut acculé par une pression plus importante. Un groupe de garçons pénétrait le cercle. « Tu n'as pas entendu ? L'on t'a demandé si tu ne te sentais pas mal sans maître ? Tu as aussi perdu l'usage de la parole on dirait ? »
Un rire se répandit en cacophonie dans l'assistance. Un jeune homme de taille moyenne, aux cheveux noirs mais coupés courts et aux yeux clairs derrière des lunettes épaisses le regardait méprisant. Flanqué d'une petite bande de suiveurs manifestement moins capables. Shun dévisagea le nouvel arrivé et sentit une réelle indignation s'emparer de lui. Que lui voulait-on à la fin ? Il remarqua, derrière ses adversaires du moment, un géant maigre. Grand, blond, le visage anguleux creusé, il le regardait non sans compassion derrière ses verres carrés. Il crut un instant que ce dernier lui viendrait en aide mais rien. On le testait. Comme dans une cours d'école. D'ailleurs je suis dans une école...
Il se décida à répondre. Le ton, de même que l'attitude étonnèrent l'audience : « Ne te méprends pas, tu n'as aucune chance face à moi ». Du large ! Il le bouscula franchement et se fit une place pour s'en aller. Beaucoup des filles fondirent devant cet étalage de confiance ténébreuse et certainement un brin torturée. Qu'il était calme et fier. Sous le charme des yeux écarquillés se muaient immobiles dans son sillage, un banc de jeunes femmes plus agitées que des fillettes. Mais une voix ne l'entendait pas de la sorte. On lui agrippa l'épaule et il prit de plein fouet une gifle sur la tempe. Il recula et faillit tomber mais se rattrapa. L'immobilisme de ces derniers jours se faisait ressentir il n'avait pas anticipé le geste...
Aucune colère, aucune émotion. Là s'exprimait la nature de Shun. Le résultat d'une vie passée dans le dojo familial certainement. Il regarda encore son adversaire. Poids égal, prompt à sortir de ses gongs et agressif. Cela lui rappela quelqu'un... Cette énergumène de Rolann. Il s'avança et ouvrit volontairement sa garde. Son opposant, comme prévu, fondit avec force rage. Il effectua un arc de cercle au sol en se déplaçant et lui saisissant le poignet plaça une projection qui l'envoya bouler quelques mètres plus loin sous le regard collectif médusé. Il releva ses cheveux en bataille et les lissa, finissant par-là de séduire les plus revêches. Le garçon se releva derechef et cette fois-ci asséna un coup de pied et une ruade.
Avec une agile souplesse Shun glissa sur ses attaques, l'empoigna au col et à l'épaule, se contorsionna plaçant un pied derrière ses jambes et le fit lourdement tomber. Ne voulant pas le frapper, il trouvait qu'en venir à cette extrémité soulignerait une certaine barbarie, il appuya du pouce sur un point à la base du cou et son adversaire hurla de douleur le suppliant d'en rester là. Les compagnons, il s'en doutait, sortis de leur stase se ruèrent sur lui. Ils volèrent les uns après les autres, projetés avec souplesse, comme si leurs propres attaques étaient renvoyées contre eux-mêmes au travers d'une ronde de mouvements fluides et ovoïdes. À aucun moment il ne les frappa.
Il le pouvait pourtant. Ils se relevèrent comme un seul homme et entreprirent un second assaut plus organisé. Le grand blond avança dans la ronde et se positionna entre notre ami et ses assaillants. Réflexion du camp opposé. Et puis une voix dure tonna. « Tetsuo ! Tu n'as que ça à faire ? Cela suffit maintenant ! » Hilda... La jeune médecin qui l'avait visité dans son ancienne chambre des jours durant. Shun n'aurait pas voulu avoir à faire avec elle, il préférait encore s'en remettre à ses talents d'artiste martial... Tetsuo dit d'une voix d'enfant qu'il était désolé mais que Shun l'avait provoqué.
Un murmure de désapprobation fit comprendre que c'était le contraire. Le tirant par l'oreille elle empoigna de même le plus malheureux des belligérants se trouvant à portée de main. Les autres disparurent sans demander leur reste. Shun remercia le géant, Friederich de son nom apprit-il. Sakura esquissa un sourire et Izumi le regardait intensément. Il avait déjà saisi cette lueur la première fois mais là elle brûlait avec plus d'insistance. S'approchant d'elle il lâcha sans ménagement qu'il ne savait pas ce qu'elle lui voulait mais que si elle persistait dans cette voie elle le trouverait et pour de bon. Là-dessus il disparut. Izumi était confondue.
Pourquoi la provoquait-il de la sorte ? Elle n'arriva pas à le formuler, à bien se l'expliquer. Habituée à être la coqueluche des hommes les plus en vue, exigeante, distante, capricieuse voir détachée. Elle agissait là comme une gamine. Interloquée, ridicule, elle essuya le rire continu et moqueur de Sakura. « Une ânesse ne s'y prendrait pas mieux ma chère! » Certes... Je ne le sais que trop, déplora-t-elle impuissante et pensive...
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasiQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...