ROLANN II

15 4 2
                                    

L'homme trépassait. Quand il se trouva pour la seconde fois devant le miroir il s'étonna de percevoir dans le fond, derrière lui, une image flottante, floue. Puis il reconnut une forme épaisse, puissante, énorme. Elle jurait avec son propre corps chétif et malingre. Un corps disproportionné de mastodonte, entre le taureau et le rhinocéros. Les plis de sa peau créaient une armure protectrice impénétrable. Une tête de lion géant munie de deux cornes velues couleurs de feu. Sa crinière flamboyante partait de la base du nez à sa queue. Ses yeux de feu rouge comme le sang l'observaient. Sôra recula terrifié. Puis une sorte d'intuition. Un nom qu'il avait déjà prononcé dans ses rêves, ses chimères. Un besoin diabolique ancré au plus profond de lui-même qui avait réveillé le plus puissant et le plus craint des esprits des monts de Rokku. Les yeux lui ordonnaient de parler, de prononcer son nom. Alors avec une absence glaciale d'émotion Sôra s'exprima : « Nean-Shô... » L'esprit réclamait plus d'efforts, plus d'envie, de légitimité. Alors Sôra s'exécuta : « Nean-Shô ! » L'esprit satisfait rugit d'une façon effroyable et tonitruante. Les fondations de la prison cédèrent, emportant toute trace de preuve et reléguant à l'oubli tout ce qu'avait été Sôra jusque là. Des disparitions, des meurtres, des carnages, des atrocités se perpétrèrent... Sôra regagnait le Palais. Bien que personne n'osa formellement le condamner la légende de l'enfant-monstre, l'insatiable démon dévoreur se propageait. Sa famille le rejetait, la reine l'avait en horreur, la cours le fuyait. Mais la peur qu'il insufflait aux gens suffisait à ce qu'il obtienne ce qu'il voulait. Et, comme toujours, il voulait demeurer seul. Cependant, la nuit, les massacres se multipliaient sans que personne ne pût témoigner de qui les perpétrait. Et puis il arriva. Le philosophe de l'Est, le sage immaculé : Log le juste. Son arrivée coïncida avec un changement de politique, lequel n'était guère de son fait. De nouveaux ministres, des intrigants. Alors qu'inévitablement le pays marchait vers des actions futures peu défendables au regard du monde, Log formait et instruisait les nombreux princes. Les plus talentueux se révélèrent être Toji le grand, Sân la calme et Sôra le seul. Log enseigna aux deux premiers l'art ancestral des monts de Rokku, la manière de dompter les esprits anciens. A Sôra il tenta d'enseigner l'humanité et comment contrôler la soif de sang meurtrière de son puissant et ancestral esprit : Nean-Shô le dévoreur d'âmes...

Rolann se sentait vidé. Sa vitalité lui échappait. Pourtant une voix au fin fond de son âme lui intimait de ne pas abandonner : « Je ne dois pas flancher... » Son ennemi toujours enfermé. Et puis il perçut un cri peu agréable mais étouffé. L'on vociférait il ne savait quelle clameur. Et alors qu'il se forçait à frapper le quartz pour la énième et laborieuse fois, il vit la matière blanchâtre se craqueler. Inquiet il recula. A mesure que les bouts tombaient se découvrait le visage torturé de Sôra. « Je dois vivre, tue, tue, tue... » Quand ce dernier se rendit compte que Rolann existait toujours il l'attaqua sans prévenir. Désormais ses yeux souffreteux lui sortaient des orbites, soulignant redoutablement ses épais cernes. « Meurs !! » Rolann évita les premières salves. Cependant les suivantes s'avéraient beaucoup plus violentes et rapides que les précédentes. Il fut littéralement balayé. Quelle force... Il ne parvenait plus à se lever, meurtri et douloureusement amoindri. S'il ne trouvait un moyen de vaincre il disparaîtrait, purement et simplement. Mais ses forces l'avaient abandonné. Et en face son adversaire ne semblait plus ressentir quelque fatigue que ce soit. « Monstre... » Il sentait l'envie du laisser-aller, de la défaite, se dessiner en lui. Menez Draguan, devenir Juge, Erik, Shun... « Shun ! » Il ne devait, il ne pouvait rester là sans savoir s'il était vivant ou non. Il ne pouvait tout simplement pas l'accepter : « Hors de question... » Il se remémora leurs disputes, les jours heureux de leur amitié, l'époque où leurs deux familles partageaient des moments agréables et chaleureux. L'époque durant laquelle son frère aîné Letton, son père, sa mère vivaient encore. Et malgré la douleur, la détresse, la tristesse, il se surprit à sourire. Leur combat avant de se voir emportés par la lame de fond sur la plage de Kotobi. Shun... 

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant