ARWIN et ANDERS II

25 4 6
                                    

Quand elle pénétra la tour, rencontre incongrue entre une cathédrale et une pagode, elle fut saisie. Tous les prêtres de la ville s'étaient réunis et affichaient l'air le plus grave. Chose plus inattendue Mère et Père se trouvaient là. De même qu'Anders. Anders ? Comment diable avaient-ils réussi à tirer ce paresseux de sa couche si tôt ? Pourquoi la dévisageaient-ils tous de la sorte, pourquoi hommes et femmes semblaient s'écarter sur son chemin ? Il fallait en avoir le cœur net, il fallait qu'elle sache. S'approchant de Mère elle s'inquiéta :" Mais que se passe-t-il ?" Alors cette dernière se jeta dans ses bras. « Ma fille, ma pauvre fille tu dois être forte tu entends ? Tu dois... »

Elle s'effondra en sanglots soutenue par son époux et ses dames. Le plus grand et le plus âgés des prêtres, certainement aussi le plus sage d'un signe manda Arwin. Elle s'avança. Elle connaissait et aimait le vieil Aengus. Ses cheveux perdus sur le crâne s'étendaient sur les tempes et jusqu'au sol. Il dit de sa voix étonnamment forte pour son âge oublié : « L'étoile de la nuit et l'étoile du jour se sont enfin éveillées. Sinorjieva attend ce jour depuis la dernière ère, depuis le noir conflit. Après deux mille ans enfant, les astres que seuls les plus avisés d'entre nous voyons t'ont désigné pour trouver ton étoile. » Mon étoile ? Je suis élue ? Je dois partir ? Arwin connaissait parfaitement la prophétie tant attendue par son peuple. Sinorjieva ne se terrait pas dans ce paradis perdu par hasard ni par plaisir.

Depuis la dernière grande guerre, celle appelée le noir conflit, ils s'étaient préservés afin de protéger la vie de l'humanité. L'horreur, les ténèbres, l'atroce réalité de l'homme disparaissant pour toujours des Neuf Terres avaient décidé les sages sinoviens à se sacrifier et à ne plus quitter leur prison de cristal que pour repeupler un jour les mondes. Mais quand ? Quand faudrait-il enfin s'éveiller de cette éternelle torpeur ? La prophétie annoncerait encore la venue des deux étoiles contraires et encore une fois, les sinoviens offriraient deux de leurs enfants pour aider le destin à s'accomplir.

Voilà, succinctement, l'histoire légendaire. Et il fallait que ce soit elle. Elle se tourna machinalement vers ses parents. Les pleurs de Mère restaient prévisibles, de même que le silence contrit de Père. Oh elle pouvait refuser. Les pacifiques sinoviens ne l'obligeraient jamais à partir et d'autres plus courageux pourraient se proposer à sa place, leur vielle histoire recelait de braves réussissant là où d'autres avaient abandonné. Mais comment continuer à vivre dans cette honte ? Avec le regard de ses amies, des prêtres. Elle devrait abandonner l'idée de devenir prêtresse et épouser un illustre inconnu pour complaire aux alliances de Père. Au fond, même si cela pouvait signifier mourir en affrontant les dangers, ne valait-il mieux pas partir ? Certainement que si...

Puis une fulgurance. Qui était la deuxième personne élue ? Il y avait deux étoiles, donc deux pendants. Puis l'évidence s'empara d'elle lui offrant une réponse inacceptable. Pas lui... Se jetant plus qu'elle ne se dirigea elle contempla son frère jumeau, le souffreteux Anders. Non qu'il fut malade. Un simple poids, un enfant plaintif et réclamant une  attention disproportionnée que l'on avait eu le tort de lui donner très jeune. Et puis... Et puis ce physique, cette silhouette ronde, trop ronde, qui agaçait Père et ne devait pas le rendre heureux non plus. Pourtant il semblait s'en accommoder quelque peu au vu de son appétit farouche. Elle devrait affronter le monde avec lui ? Non, non et non. N'importe qui sauf lui ! Une jeune princesse distinguée aurait été sans doute mille fois plus utile que lui !

Elle observa les yeux impuissants du vieux prêtre puis ceux larmoyants de sa mère. Père prit la parole et décréta que sa fille ne partirait pas. Elle était trop jeune et était déjà promise. Il croyait sans doute l'aider et ne manquait pas d'y ajouter une note faussement inquiète pleine de calcul... Ah Père, où se situe la limite entre votre ambition et votre amour ? Impasse... Mais l'anguleux Aengus rappela que les derniers élus de l'histoire étaient plus jeunes encore quand ils étaient partis. Père s'emporta. Foutaises, légendes !

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant