ROLANN VI

11 4 0
                                    

L'instant d'après il gisait meurtri. Il crut discerner un rire et le démon disparut. Il perdait. Les deux jours qui suivirent tout se répéta. Du réveil à l'entraînement en passant par ses combats nocturnes. Pourtant il se sentait bizarrement plus fort. En tous cas moins faible et éprouvait une sorte de confiance mystérieuse. Anormale. Il perdait toujours mais au moins se battait-il, ne reculait-il pas et avait moins peur. Beaucoup moins peur. Seul ce satané démon dont il ignorait toujours l'identité le battait à plate couture, sans qu'il note d'amélioration notable. Le matin du cinquième jour Qinn le réveilla plus tôt. « Debout! » Il le suivit encore à demi endormi et se retrouva sous les fameuses chutes d'eau. « Aujourd'hui tu vas rester devant ces chutes. Tu ne bougeras que quand je te le dirais. Vas. » Il le poussa et Rolann crut bien trébucher. Puis il le reprit : « Attrape ! » Un sac emplit de victuailles. « Vous ne restez pas ? » Le Juge répondit que non. Il devait s'entraîner. Il repasserait en milieu d'après-midi. Seul... face aux chutes. Mais puisqu'il le fallait. Au début il doutait des méthodes du juges. Pourtant il se sentait déjà plus fort. Il fallait écouter. Avoir confiance. Il se posta debout, mimant le Juge, les pieds écartés à la draguienne, les mains jointe derrière le dos. Les yeux clos il se concentrait et se plongeait dans la méditation. Tout revenait, les combats, Shun, Sôra. Aucun calme palpable. Puis Menez Draguan, le Pacifique, l'Épreuve. La plage de Kotobi, le Japon, Kyoto. Shun encore. L'enterrement, la mort de ses parents, la disparition de son frère... Tout se mélangeait. Il ressentait beaucoup de colère, beaucoup de tristesse aussi. Avait-il choisit tout cela ? Non... Voulait-il changer ? Oui. Mais ici et pas là-bas.

Sa terre c'était Menez Draguan désormais. Et là il deviendrait le plus fort des Juges. Il le devait ! Il supplanterait Shun, il dépasserait Sôra ! Il leur montrerait à tous ce qu'il valait véritablement. Irneh, Julia, Iperio, tout le monde le respecterait enfin à sa juste valeur. Il se voyait vainqueur, il se voyait aimé, respecté. Pourtant quelque chose n'allait pas. Au plus profond quelque chose faisait défaut. Il se voyait changer. L'ombre prenait la place de son être dans sa méditation. Il affrontait Shun. Il affrontait Sôra. Il affrontait le Juge. Il se battait et se battait encore et n'en finissait pas. Puis l'horrible vérité. Il se battait contre lui-même. L'ombre c'était lui. Il se voyait vaincu par lui-même, transpercé de part en part. Alors il ouvrit les yeux. Le temps avait passé. Combien ? Une, deux, trois heures ? Au moins. Le soleil s'avérait déjà bien avancé dans sa course journalière. Le Juge arriva peu de temps après son réveil. Rolann lui raconta le fruit de sa méditation. « Jeune... Encore tellement jeune. Tu dois calmer ton esprit et t'ouvrir à une attention pure. Écoute cette forêt. Ecoute-toi aussi. Tes envies et tes besoins. » Ils rentrèrent et dormirent prestement. En pleine nuit Rolann s'éveilla encore. Il ressentait toutes ses angoisses mais il devait y aller. Une fois dans l'onde il s'accroupit en tailleurs, comme il l'avait appris au dojo Tanaka. Il attendit et l'ombre finit par le rejoindre. Il tenta d'échapper à son agressivité. Il fallait réprimer toute sensation négative. Alors l'ombre nageant ne put l'attaquer. Elle essayait mais ses tentatives s'avéraient infructueuse. Pourtant quand il diminuait son attention elle le gratifiait de robustes ruades.

Il crut discerner quelque chose : C'est donc ça ! « Si mes pensées sont teintées d'angoisse et de ressentiment cette ombre m'attaque. Sinon elle n'a aucune emprise sur moi. Je dois me calmer. » Il s'y employa tant et si bien qu'il réussit à empêcher les mouvements de son adversaire invisible. Un cri de haine et de désapprobation. Le démon luttait. L'ombre se matérialisa. Une forme de tête immonde doublée d'une langue aux proportions désolées, des yeux sans taille rouges de souffrance et une silhouette d'homme. Une image déformée qui devait cristalliser ses troubles. Il se leva sans haine, sans passion puis se mit en garde : « Tu symbolises mes craintes, soit, mais tu demeures aussi un démon. Je vais t'affronter avec tout ce que j'ai. » Les deux êtres se ruèrent l'un sur l'autre. Le démon s'avérait d'une rapidité rare et véloce. Mais grâce aux traitements infligés par Qinn, il parait tous les coups. Il visualisait. Et non content de cela, le calme acquis lui permettait de gérer son souffle de même que sa force. Il prenait enfait le dessus quand la langue ignoble s'enroula autour de son cou. Il étouffait. Il mourrait. Que faire ? Frappes, projections. Rien n'y fit. Il écumait de rage ! Si près du but. Pourtant il devrait se maîtriser s'il voulait s'en sortir. Plus il s'énervait plus ses angoisses grandissantes nourrissaient le démon. Non, non et non ! Il ne devait perdre. Malgré son souffle coupé il ferma les yeux et se calma.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant