ROLANN II

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Derrière les vitres de la voiture qui le ramenait en ville il fut attendri par la beauté éphémère, la poésie nostalgique du paysage qui s'offrait à lui. Le voulait-il réellement ce deuil ? L'émotion qu'il ressentait à mesure qu'il avançait lui arracha quelques larmes et il se sentit mieux. Partout les cerisiers en fleurs semblaient chanter la renaissance de la vie florale sur l'austère saison froide de l'hiver. Il voyait des nuages dispersés roses et blancs soutenus par des forêts floues de troncs foncés. Quelle beauté. C'était la première fois qu'il venait à cette période de l'année. Traditionnellement il y passait les mois d'été et d'automne. Comment diable avait-il pu échapper à telle féerie ? Il surprit des groupes de jeunes et de moins jeunes,parents et enfants marchant ou discutant sous les cerisiers en fleurs.

Il vit les gens s'asseoir et pique-niquer, boire et manger au rythme sans âge des cycles saisonniers. Des tenues traditionnelles,des kimonos, tous plus chatoyants et différents les uns que les autres dans une homogénéité tirant du blanc au rose, du jaune pâle au vert émeraude... Il fit arrêter la voiture et ivre de vent, de liberté, de pétales de fleurs, s'échappa... Une bourrasque le fit tituber mais il se ressaisit. Le temps de même que l'espace semblaient s'être tout à fait arrêtés, ou plutôt offrir un moment de vie en dehors des règles du commun. Peut-être était-ce ce qu'il avait toujours cherché ? Peut-être pourrait-il rester ici toujours, protégé par l'éternité des cerisiers en fleurs ? Mais les cerisiers, et surtout leurs fleurs, n'avaient rien d'éternel bien au contraire...

Son chauffeur sortit et s'inquiéta de savoirs'il fallait trouver de quoi se restaurer ou même s'arrêter quelque part. Il répondit que oui. Qu'il voulait lui aussi fêter l'harmonie de la nature et de ses changements. Il se laissa guider et bientôt les voilà sous les arbres protecteurs d'un parc, profitant de ce qu'il avait sans doute cherché toute la journée : le recueillement et la solitude. Il se fit dire que cet espace qu'il bénissait déjà se nommait Ninnaji et comme dans tout le japon à la même époque, la tradition voulait que l'on suive l'évolution de la floraison des cerisiers du sud au nord de l'archipel, le Sakura senzen. Bien qu'il le sût par ailleurs, il en fût ému et apprit dans le même temps que l'art d'observer ces fleurs se nommait Hanami. Mais ce jour-là de toutes les façons, tout l'émouvait exagérément.Il se coucha dans l'herbe fraîche et se perdit dans le ciel bleu sans nuages. Il repensa aux jours passés. Il n'était arrivé qu'une semaine auparavant et pourtant que d'événements... Les repas coutumiers avec la famille Tanaka, les promenades dans les différents temples sacrés de la ville, l'entraînement aux arts martiaux...L'entraînement.Il se replongea quelques trois jours avant le drame.

Ce matin-là il s'était levé tôt rejoignant ainsi le dojo familial de la famille Tanaka. Bordée de cerisiers en fleurs la cours du dojo donnait l'impression d'être un monde au sein d'un autre monde. Le matin la rosée perlait et il se sentait comme en communion avec les éléments. Loin des problèmes de la société Rufousblade, des comptes à rendre, de son oncle ou de son père avec qui finalement il passait son temps à se dissimuler, se conformant àce que l'on attendait de lui. Ce jour-là il portait le kimono bleu-gris du clan Tanaka et un hakama noir.Le blason de cette ancienne famille descendante de samouraïs se composait d'un cercle noir symbolisant la nuit et en son centre des nuages. Il ne pouvait nier qu'il ressentait une véritable fierté et une élégance justifiées. Comment ne pas embrasser l'atmosphère de sérénité, le calme et la concentration de ces lieux ?

En poussant les portes de la salle d'entraînement, il salua l'espace puis salua le maître qui s'entraînait déjà et s'adonna aux échauffements.Le contact du bois rude sous ses pieds nus, l'odeur de sueur balayée par l'ouverture large et basse sur la cour... Qu'il se sentait lui-même à ce moment-là, délié des doutes et des tensions de sa vie quotidienne ! Mais il fallait commencer. Déjà le maître plaçait devant lui un disciple qu'il ne connaissait pas. Il était vrai qu'il ne côtoyait le dojo que la moitié de l'année et que beaucoup recherchaient les lumières de Sensei Chomei Tanaka. Ramassant son sabre de bois, le boken,il salua et se mit en garde. Il ne s'agissait pas d'une des gardes communes que l'on peut trouver dans les écoles moderne de Kendo,non, là l'on apprenait les arts traditionnels. Et la dimension guerrière des arts martiaux n'en représentait qu'une des insaisissables parties.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant