Ses pas l'amenaient avec fracas et précipitation sur la plage de Kimôto... Il était en sueur. Quel affrontement ! Puissant, total et pourtant si rapide. Log avait fait montre d'une maîtrise et d'une élégance rare. Combattant affirmé, maître-lancier manifeste, il s'était battu avec une telle noblesse d'âme que Neil n'avait pu continuer le duel. Il avait ressenti l'envie durant cette joute d'écouter et de respecter les rêves de son adversaire. Un tel homme ne se croisait guère qu'une fois par décennie. Voir par siècle, il en était certain. Et puis... Et puis tout simplement son combat lui rappelait le sien. Ce souci pour son royaume, cette abnégation doublée d'une sagesse palpable. Log il le pressentait avait beaucoup à faire, il devait encore œuvrer et ce n'était guère lui, Neil Highwind, qui l'arrêterait. Il s'y refusait totalement, viscéralement. Alors, d'une sorte de commun accord, ils avaient baissé les armes et presque sans mot s'étaient quittés, se souhaitant mutuellement bonne chance. Dans cette impitoyable bataille, seuls deux esprits aussi nobles, aussi justes, aussi épris de folle intégrité auraient pu arriver à ce genre d'extrémité. Et ce fut ce qui advint du reste. Log du vénérable Pays de Rokku. J'ose espérer que tu trouveras ta voie. Alors qu'il pensait à celui pour qui désormais il nourrissait des sentiments quasi amicaux il fut subjugué par une vision saisissante, hors du commun : devant lui le bleu de l'océan s'épanouissait unique, limpide, étalé et absolu vers l'horizon. Au loin il perçut des points qui grossissaient à vue d'œil, trahissant les couleurs du Pacifique. Les renforts arrivaient. Oui la marine paciféenne, certainement l'une des plus puissantes des Neuf Pays, se rapprochait. Pourtant les vaisseaux qu'il percevait ainsi voguer vers la côte arriveraient-ils à temps ? Rien n'était moins sûr. Plus proche de lui et dans les cieux une multitude d'aéronefs tous plus sombres les uns que les autres pullulaient. D'où sortaient-ils enfin ? Et puis l'évidence... Ils devaient décoller depuis le gigantesque et splendide vaisseau noir qui avait attaqué le Leo II. De loin il considéra le disque de lumière violacée qui semblait soutenir ces appareils. Pas d'hélice ou autre aile. Uniquement cette armature de métal obscur, toute de courbes et de lignes étirées.
Sur chacun de ces ennemis aériens un emblème : une épée longue et noire sur champs rouge. Il ne connaissait guère ce blason... Des séparatistes ? Des marginaux ? Mais qu'était ce que Justice à la fin ? D'infâmes terroristes tout au plus. La plage ne se voulait plus qu'à une centaine de mètres. Et avant qu'il n'ait le temps d'analyser le champ de bataille pour retrouver qui était qui, quels étendards s'affrontaient, il ressentit un malaise. Comme si quelque chose d'incommensurable allait se produire. C'est alors qu'il perçut des carrures, des visages connus, des manteaux flanqués d'écussons identifiables. Là sur sa gauche Arthulian Edgemaster entouré d'une dizaine de Magistères affrontait remarquablement bien le triple d'assaillants, devant lui Qinn Loguard accompagné d'étudiants de l'académie militaire de Phoexia transperçait à coups de poings et de pieds tous les malheureux qui osaient lui faire face. Il reconnut très nettement ceux qui s'étaient battus lors de l'Épreuve, notamment dans le Temple du Dragon d'Eau. Le jeune stratège des terres australes de Menez Draguan, Irneh Léthée aux cheveux de neige et à la peau sombre, son camarade le grand et puissant Iperio le dépositaire de l'esprit du Taureau, la tenace et intrépide Julia dont les ruades arrachaient les chefs ! Et puis avec eux le confiant et glorieux Hâmyan et son aimée pour qui il s'était battu, la noble Tenimaru. Non loin la très réfléchie Heather combattait aux côtés de son frère le génie du clan Sanaa, le gardien de la gourde maudite : le dénommé Erik ! Il avait donc survécu... Sans doute les soins anormalement efficaces des médecins-Magistères. Sur sa droite il reconnut le Magistère Gaies Heavystone. Ce dernier n'était pas en reste et pulvérisait littéralement ses opposants. Chacun de ses assauts donnait l'impression que la terre écrasait l'ennemi. Enfin la dernière mais non la moindre, Serenity Teva en retrait avec son propre bataillon de médecins-Magistères, soignait les blessés avec une efficacité déconcertante. En concentrant les flux du souffle primordial, en en appelant au Pouvoir, elle reconstituait les plaies et les chairs. Elle ressoudait les os et les peaux se refermaient.
Jamais Neil n'avait pu apprécier en vrai et de si près l'art légendaire des Magistères. Personne, à sa connaissance en tous cas, ne possédait de telles aptitudes à Victoria. Personne ! Néanmoins cela ne suffisait pas pour gagner une bataille. Il fallait des soldats entraînés, disciplinés, rompus à l'art de la guerre et aux stratégies martiales. Ce genre de compétences, incroyables certes, demandaient beaucoup d'entraînement, une connaissance si intime du Pouvoir et une telle abnégation que leur enseignement s'avérait inenvisageable pour des armées de la taille d'un Empire. L'armée fédérale paciféenne elle-même ne possédait rien de comparable. Mais Kimôto si... Et Kimôto faisait partie de la Fédération du Pacifique. Neil avait beau draper sa gêne intuitive derrière les réflexions les plus objectives, il n'en demeurait pas moins que la vérité lui sautait aux yeux, là, terrible de clarté et d'évidence. Les Magistères possédaient des spécificités, des connaissances, une puissance peu communes. Et ils étaient les alliés de la République... Dans sa course effrénée vers l'armement et l'hégémonie, dans sa folle ambition unificatrice, Victoria lui semblait avoir oublié quelque chose. Avoir perdu des principes anciens, immémoriaux qu'au contraire le Pacifique, et surtout Kimôto, n'avaient eu de cesse de cultiver. Tôt ou tard l'Empire devrait choisir, se faire des alliés des Magistères ou les détruire. Mais pas ce jour, pas là et pas comme cela. Au contraire. Il fallait coopérer. Neil mit instinctivement main à l'épée. Le métal froid et lisse du pommeau de Silverhawk, sa fidèle rapière, lui procura un plaisir vif, excitant. Il voulait en découdre, se battre, démontrer la supériorité de la logique victorienne, étaler la superbe et la légitimité de son savoir hérité des classes militaires du Saint Empire. Défendre l'honneur et le bon droit de l'Ordre de la Chevalerie ! La guerre était affaire de « métier » et de « mérite ». Il n'y avait guère place pour l'improvisation. Alors qu'il en était là de ses préoccupations il comprit quelque chose. En l'état ils ne pouvaient vaincre. Il y avait trop d'ennemis, trop de factions différentes dont l'organisation méticuleuse trahissait une préparation ancienne, orchestrée sans doute des mois à l'avance, si ce n'était des années.
Un astronef plus imposant que les autres se posa sur l'écume et de son antre sortit une masse d'hommes armés, revêtus de bruns uniformes ou de manteaux parsemés de sombres traînées nuageuses, surplombées de l'inquiétante lune noire. Neil le savait, c'en était finit. Il apostropha Arthulian pour lui signifier sa présence et voulut entrer dans la lutte. Ce dernier le gratifia d'un signe qu'il comprit comme une interdiction d'avancer. Que cherchait-il? Pourquoi refusait-il son aide ? Et puis quelques secondes plus tard, comme si cela aussi avait été préparé à l'avance, ceux qu'il fallait identifier comme les commandeurs reculèrent sur la ligne arrière, laissant à leurs bataillons respectifs le soin de contenir l'assaut désormais plus lourd, plus pressant. Avant qu'il ne comprît ce qui arrivait il en appela à toute sa froide maîtrise pour croire ce qu'il voyait. Arthulian se concentra et ramenant ses pieds dans l'alignement des épaules, talons dans le sol et pointes vers son centre, il inspira profondément en levant les mains paumes vers la terre. Il semblait abaisser son centre de gravité et exécuta des pas d'une lenteur extrême avec la même maîtrise et une expiration audible. En regardant autour de lui il se rendit compte que, avec certes quelques différences notables, les autres hauts Magistères accomplissaient des gestes similaires. Seul Qinn se concentrait différemment, les pieds puissamment enfoncés dans le sol, les coudes collés aux côtes et les poings serrés vers le ciel. Il perçut de légères oscillations sur ces derniers et d'un coup les poings devinrent des paumes ouvertes placés en ouverture le long d'une ligne centrale imaginaire qui partageait son corps. Les pas qu'il effectua ensuite furent eux aussi plus durs et saccadés que ceux des Magistères... Les Juges de Menez Draguan n'ont pas oublié eux non plus... Neil ne put refréner une sorte d'admiration. Quelque chose de supérieur se préparait, là, devant ses yeux. Et quelques secondes à peine plus tard ces danses cessèrent...
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...