ROLANN I

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Rolann vivait très mal son opposition avec Cassandra et par-dessus tout d'avoir du s'allier peu ou prou avec Shun... Comment diable vais-je gérer tout cela ? Dieu seul savait pourquoi Omi Taajukei les avait sortis d'affaire mais cela n'enlevait en rien les questionnements ou la frustration, le ressentiment et la haine qu'il éprouvait. D'abord à l'égard de ceux qui osaient demeurer en travers de son chemin, ensuite à l'égard de l'inévitable Shun. Ne pourrais-tu simplement disparaître ? Puis la violence de sa propre réflexion l'apeura un peu. Quelle aigreur ... Pourquoi se sentait-il aussi menacé, aussi agressé lorsqu'il s'agissait de son ancien camarade? Ce dernier n'en valait pas la peine. Mais déjà, alors qu'il se rapprochait de l'aile nord de la Faculté Universelle, celle dévolue aux soins et à l'application médicinale du Pouvoir, il aperçut Irneh. Ce dernier comme toujours semblait grandement s'ennuyer et recherchait vainement quelque distraction en contemplant les allers et venues des apprentis médecin-Magistères. « Holà l'ami. Je te sens perdu ! » Rolann éprouvait toujours un plaisir vif en retrouvant ses amis draguiens. Au moins ces derniers brillaient par leur franc-parler et leur entièreté. Bien différente des subtilités paciféennes ou victoriennes. Bien différente de la mentalité d'un Shun du Pacifique... Son poing se serra. Pourtant son humeur se radoucit rapidement grâce à son ami : « Pfff. Ouais. Y a rien à faire là. Et puis si on ne vient pas le voir qui le fera ? A part les proches bien sûr... Enfin bref. C'est notre devoir quoi. » Toute action lui semblait une épreuve. Toute entreprise prenait d'abord les allures de la plus fastidieuse et de la plus assommante des aventures. Ensuite seulement, et selon qu'il ait découvert ou non des aspects potentiellement attrayants dans l'objet de ladite entreprise, consentait-il à se mêler à l'effort. Indécis et insatisfait constant. Cette facette de sa personnalité plaisait lourdement à Rolann qui lui-même aspirait à toujours plus, avait soif de moult reconnaissance et fortes grâces. Et qui donc s'avérait d'une certaine façon tout aussi insatisfait. Pourtant la violence et les difficultés de l'Epreuve adoucissaient quelque peu ces traits de caractère. Ils attendirent un moment Iperio qui n'arriva jamais. Irneh les mains dans les poches et les yeux fermés lâcha non sans lassitude : « On va y aller sans lui, tant pis. Il doit encore s'entraîner ou se baffrer. » 


Rolann répondit par l'affirmative et les voilà dévalant un certain nombre de marches pour s'enfoncer dans l'espace dévolu aux malades. Un long corridor, haut et un peu sombre, se voyait flanqué de chambrées numérotées. Des plaques de bois étaient accrochées à chaque entrée avec le nom du ou des patients. Une odeur médicamentée régnait partout et s'insinuait doucement à travers les corps et les atours. Rolann pensa qu'il n'y avait guère de différence avec ce qu'il connaissait de son propre monde dans les hôpitaux. Pourtant là, les lieux s'avéraient tout de même autrement plus chauds et accueillants. Cela n'enlevait guère cette satanée odeur. Ils se retrouvèrent enfin en face d'une chambre dont la plaque indiquait le nom d'Erik Sanaa. Ils échangèrent un regard et sans un mot entrèrent silencieusement, à pas feutrés. Heather était là. Juchée sur la seule chaise de la pièce, se balançant d'avant en arrière, les yeux humides et l'esprit contrarié. Elle l'avait veillé tous ces derniers jours. Mais malgré son acharnement son frère n'avait toujours pas ouvert les yeux. Combien de temps resterait-il ainsi ? La Magistère Serenity Teva avait assuré l'intégrité de son état corporel. Mais en ce qui concernait l'esprit... La gourde maléfique du clan Sanaa l'avait rongé et pour qu'il soit lui-même à nouveau il fallait qu'il le veuille d'une part, qu'il possède une force de caractère inégalée d'autre part. Personne ne pouvait le faire revenir à part lui-même. Ils devraient donc attendre. Attendre... Alors Heather s'était murée dans un silence presque religieux et n'avait plus quitté la pièce. Elle se rendit compte que d'autres gens pénétraient l'espace. Elle se leva, les dévisagea, s'écarta et lâcha : « Soyez brefs. » Elle quitta la pièce. Irneh la salua puis une fois seul avec son ami et le malade, il murmura : « Pauvre fille... Son frère c'est toute sa vie. S'il ne revient pas... » Rolann sentit son énervement revenir. 

Les lois rigides de Menez Draguan, le destin écrit, l'obligation du descendant des Sanaa d'user de la gourde pour l'honneur du clan. Tout lui revenait et l'indignait ! Il changerait cela... En devenant Juge il changerait Menez Draguan. Ils se recueillirent un instant devant le corps inerte et effrayant d'Erik. Ce dernier ne bougeait pas, roide, gris. Il avait maigri en quelques jours et le teint de sa peau semblait jaunir sous l'effet des nombreuses drogues administrées par les médecin-Magistères. Pourtant Rolann jurait qu'il ressentait toute la lutte derrière le masque morbide épousant le blond visage. Il avait affronté l'un des adversaires les plus puissants de cette Epreuve. Qui aurait cru que ce Sôra fut si fort ? Une fois leur silence de recueillement terminé ils prirent congé non sans s'assurer que Heather ne revînt. Elle n'en fut guère loin, gardant la porte telle un cerbère. Rolann en quittant la chambre éprouva une sorte de tristesse mêlée d'indignation. Irneh lui ne s'exprima pas. Sous le choc l'un comme l'autre, habités par une tranquille absence de mots, ils allaient sortir quand ils ressentirent la plus sinistre des auras. Le couloir s'habita fugacement de limbes noirâtres et ils l'aperçurent. N'était-il pas convalescent lui aussi ? Il fallait croire que non... Que cherchait-il à traîner ainsi dans les environs? N'avait-il aucun respect ? Rolann ne put s'en empêcher et l'apostropha : « Tu fais quoi ici ? » Son interlocuteur ne daigna pas même lui répondre ou le regarder. Il rampait plus qu'il n'avançait, traînant la patte, riche de ses atours de verts flottant et de blanc cassé. Son énorme bassine de cuivre lestée dans son dos semblait ne rien peser pour lui et cet animal fantastique brodé sur le torse, cet espèce de lion-rhinocéros doté de deux énormes cornes qui se cabrait, présentant des écailles à la place du poil et dont la crinière extraordinaire s'exprimait généreuse le long du corps de la bête. 

Superbe, pensa Rolann. Mais le garçon l'était moins. Ses cheveux d'un roux orangé profond soulignaient dans leur coupe ce front si proéminent et arrogant, flanqué à gauche d'une natte tombante unique. Il semblait amenuiser le reste du visage. Lequel d'ailleurs présentait de verts et grands yeux. Ils vous scrutaient en vous déliant l'âme. Rolann le héla encore une fois : « Sôra que cherches-tu ici ? » Il s'étonnait de sa présence. Puis Irneh lâcha : « Erik... Il doit être là pour Erik. » Alors Rolann passa de la stupeur à la peur. C'est la trêve... Pourquoi diable Sôra viendrait là pour Erik? Ça n'avait pas de sens. A moins que... « C'est Erik que tu cherches ? » Toujours pas de réponse. Il avançait sans mots-dire. Il en voulait à la vie d'Erik ? Il fallait le protéger à tous prix ! Mais faisaient-ils le poids face à ce garçon ? Ses capacités restaient phénoménales. Le quartz... Il commandait à l'eau et aux alluvions. La peur empêcha Rolann d'exprimer sa pensée. De même qu'Irneh. Il craignait Sôra. Il ne voulait pas l'affronter, il ne voulait pas se battre. Pour la première fois depuis longtemps il ne se sentait pas à la hauteur. Ce dernier se retrouva désormais suffisamment proche pour que leur parviennent les mots inaudibles qu'il psalmodiait depuis le début de leur entrevue : « Tue, tue, tue... Tue, tue, tue... » Rolann recula. Ce garçon appartenait-il réellement à ce monde ? Il semblait s'extraire de quelques enfers d'outre-tombe. Il fallait réagir. Irneh voulait prendre ses dagues mais ses genoux tremblaient. Il ne parvenait pas à s'armer tant l'angoisse le tétanisait. Le même sentiment immobilisait Rolann. De toutes les manières il ne possédait pas d'armes sur lui. Sa gorge nouée lui remontait au palais et son ventre se tordait de douleur. Fou et absent Sôra continuait à s'approcher d'eux. « Tue, Tue, Tue... Tue, Tue, Tue... » Et s'il les tuait eux ? Ne valait-il pas mieux qu'Erik pérît ? Après tout il était déjà presque mort. Cela ne changerait pas grand-chose finalement... Puis Rolann se haït ! Comment pouvait-il ? Comment osait-il penser pareille folie dans sa détresse, dans sa couardise ? 

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant