Le Pacte du Roi Livre I

CASSANDRA

Elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Pourquoi diable Eleanor se croyait-elle assez forte et préparée pour participer à cette deuxième phase de l'Épreuve ? Qu'elle se frotte à la première partie, pourquoi pas ? Mais là ! Et puis cette fade confiance en elle-même, cette subite volonté de s'affirmer. Dans l'absolu oui ! Mais pourquoi contre moi ? « Ne te trompes pas de chemin petite sœur... » Ce qui revenait à l'esprit de Cassandra, ce qui ne cessait de la hanter ce n'était pas le fait que sa sœur s'émancipe et devienne une compétitrice. Non. Ce qui l'ennuyait restait qu'à mesure qu'elle s'affirmait elle l'oubliait elle. Elenaor mettait en parenthèse beaucoup trop rapidement à son goût toutes ces années de partage et de protection mutuelle, de soutien et d'inquiétudes. Les inquiétudes c'était surtout pour moi... Elle se surprit à espérer que sa sotte de sœur perde, voir qu'elle rencontre une adversité telle qu'elle reviendrait les larmes aux yeux aimante et désolée. Puis, tout de même, un élan de fierté. Elle savait pertinemment que même si elle en éprouverait quelque plaisir vengeur un tel comportement pour une princesse de sang l'indignerait. Mieux valait-il qu'elle se confronte à ses choix et qu'elle les assumât pleinement. En cas d'échec, aucune aide. Aucune ! Un secrétaire, l'un des nombreux et illustres inconnus qu'elle côtoyait quotidiennement la héla, lui signifiant l'arrivée du Chevalier Jeffrey Northman. « Merci... » Pour une raison qu'elle ignorait elle voulut lui demander son nom. Fort intrigué ce dernier osa murmurer « Ted Candrury, pour vous servir... » Instinctivement il s'était penché les yeux fixés vers le sol. Il s'appelait donc Ted... 

Non ce n'était pas cela qu'elle avait en tête. Son étonnement ne provenait nullement de son nom lui-même. Il possède donc un nom... Tout à coup elle voyait le monde tel qu'il était, en tous cas le sien : un tournoiement continu d'attentions et de services portés par des êtres humains dont elle ignorait jusqu'au patronyme. Cela peut-il durer toujours ? Le dénommé Ted recula et disparut derrière une porte encastrée dans le mur. Presque invisible elle aussi. Alors Cassandra marcha avec grâce, puissance, agilité féline. Elle s'arrêta devant les immenses pans de verre qui la séparaient de l'extérieur et observa pour la énième fois cette blanche ville de Kimôto. Quelle beauté... Oui. Désormais elle accordait à cette cité un charme doublé de prestance. Oh bien sûr. Rien à voir avec la folle ambition de Victoria, ses hauteurs disproportionnées et ses tours effrontées qui dialoguaient avec l'éther. Mais Kimôto lui révélait jour après jour des particularités, de sensibles séquences d'espaces fins découpés dans la roche ou dans le bois, des univers répétés et étalés d'ensembles urbains à l'échelle de ses habitants. Ci et là retrouvait-on des places rafraîchies par des bambouseraies, des morceaux de parc vivants qui dialoguaient avec l'immaculée lumière irradiant les murs. Au fond, se disait-elle, les villes de son pays natal s'acharnaient à tirer vers le ciel alors qu'ici s'évertuait-ton à s'étaler vers les eaux... 

Un pas qu'elle connaissait, ce son si familier du cuir sur le sol et il entra. De bleu et d'or une sorte de dolman lui seyait comme peu, pantalon blanc et bottes militaires hautes. Une épaisse ceinture noire venait soutenir le tout. Il ajusta ses lunettes fines, saluant très formellement son supérieur hiérarchique direct. Cassandra se sentait déjà mieux. Quelques secondes plus tôt elle était encore une princesse, la voilà redevenue une femme de guerre, premier Chevalier de l'ordre du Lion, Dominateur et Vice-reine de la province de Parnéa. Merci Jeffrey, pensa-t-elle. S'avançant, ce dernier presque au garde-à-vous, lui donna un récapitulatif bref des dernières missions de leur ordre et lui remit un épais dossier sur lequel apparaissait frappé un lion doré. Elle le saisit et le parcourut quelques minutes. Puis levant ses yeux lui dit sans détours : « Sommes-nous certains de ces informations ? ». Jeffrey à son tour parla sans fioritures : « Nous le sommes. Ce garçon est bien apparu de nulle part. Il semble connaître un draguien qui lui aussi avait disparu et aurait resurgit d'on ne sait où. Ces deux là cachent quelque chose. Peut-être est-ce un piège des Magistères ? » Cassandra s'empourpra. Croient-ils se rapprocher de l'empire en utilisant ce jeune homme pour tromper ma sœur ? Après tout elle n'a jamais été aussi perdue que depuis qu'elle le côtoie. Faut-il que je m'occupe d'affaires aussi insignifiantes ? « Nous allons garder à l'œil ce paciféen ou autre, qu'en sais-je, de Shun. Avant même que cette joute ne touche à sa fin je ramènerai Eleanor. Personne ne peut disposer d'une princesse victorienne, pas même les Magistères. »