- OUVERTURE -

467 17 19
                                    

Rolann n'en revenait tout simplement pas. Devant lui, se perdait dans le ciel infini des nuées obscures étonnamment scintillantes. Elles ne brillaient guère d'opale. Non. Elles se paraient de vermillon et de saphir, d'or et d'airain. Voilà les reflets qui donnaient à ces essaims noirâtres une allure fascinante mêlée de terreur. « Nous allons tous mourir... » Comment échapper à telle multitude ? Il n'eut guère le temps de se perdre plus en considérations sur l'avenir. Il fallait vivre.Ou plutôt survivre. Les râles des combattants alentours le ramenèrent rapidement à la raison. Au milieu du champs de bataille il s'efforça de garder son sang froid. Son cœur battait à tout rompre, ce dernier lâcherait il en aurait juré ! Une angoisse suffocante s'empara de lui. À quoi bon lutter ? Le mal arrivait. Ce dernier détruirait tout sur son funeste sillon, il l'affirmait...

Tout son être lui hurlait de fuir le plus loin possible. De les abandonner tous. Il pataugeait désormais dans une marre de sang. La terreur s'emparant des combattants, les échanges devenaient plus violents, barbares. Un coup de double-hache ennemi.Trop tard. Il sentit la douce caresse du trépas lui pourlécher le flanc. Enfin... Il serait délivré de ce maudit destin. Puis l'incroyable. « Ton heure n'est pas encore venue l'ami ! Où donc sont passés le fond et la forme ? Tu es pitoyable Rolann ! Du nerf bon sang !! » Incrédule il admira une silhouette ô combien éprouvée. Cette dernière se déployait au milieu de l'adversité usant d'une danse ondulée aux rondes assassines. Chaque fois qu'un corps se heurtait à ces mouvements curvilignes, des gerbes de sangs semblaient pleuvoir et les membres se détachaient. Voilà donc la maîtrise du Pouvoir... Tu y es parvenu Shun. Bravo. Mais cela ne suffirait pas.

L'île entière se voyait prise en étau, tenue à la gorge. De toutes parts les assaillants affluaient. La baie qu'ils avaient juré de protéger cédait sous le poids de ces combattants inconnus parés des teintes funestes de la nuit. Les renforts n'arrivaient guère. Pire. Désormais dans les airs comme sur l'océan, au lointain dominant l'azur horizon, une flotte gigantesque, ténébreuse armada forgée d'onyx, se rapprochait. Il lutta, lutta encore, puisant dans ses dernières ressources. Tournant sur lui-même afin d'apprécier ses compagnons, alliés circonstanciels, il se dépassa et clama à en perdre haleine :« A moi Menez Draguan ! A moi le Pacifique ! Nous ne pouvons perdre aujourd'hui, nous ne pouvons baisser les bras devant la noirceur assaillante ! Battez-vous ! Levez-vous contre l'injustice et cette tyrannie obscure ! Au nom de la Vertu ! Il nous faut tenir jusqu'à ce que les Magistères et les Juges arr... » Un coup de poing anormalement brutal venait de s'abattre sur sa tempe. Ses yeux se révulsèrent et son corps désarticulé s'écrasa dans la boue écarlate. Alors qu'ils'affaissait il fut reconnaissant au destin de lui permettre d'abandonner un ultime cri auquel, du reste, il n'avait finalement plus aucune foi.

Comment pourraient-ils espérer échapper à un sort monstrueux, évident, là où ils luttaient à un contre cinq, encerclés et étouffés par ces redoutables belligérants ? Sans bruit son corps avait épousé le sol souillé. Pourtant se formait déjà ce que l'on retiendrait plus tard comme le premier cercle. Étudiants de la Faculté du Pacifique, apprentis Magistères, Élèves militaires de Menez Draguan, Écuyers de l'Empire Victorien, tous les alliés les plus proches avaient formé autour de la dépouille de Rolann un mur compact infranchissable, dernier bastion avant la plage elle-même. Menés par Shun ils luttaient avec la certitude de ne pas survivre au crépuscule. Rolann malgré ses peurs coupables embuées par la certitude d'une mort imminente avait réussi à unifier ces participants de l'Épreuve. Provenant de pays et d'institutions différents, habitués à s'affronter les uns les autres ils avaient échoué à faire front uni. Rolann y était parvenu. Mais trop tard.

Ce n'était là qu'une partie du champs de bataille. Ce dernier reflétait une toute autre réalité. La sombre main ennemie glissait doucement vers la ville-sainte de Kimôto et vers le centre du Pouvoir. Toute la République en serait ébranlée laissant entrevoir un avenir funeste. Rolann lâchait prise, il ne sentait plus rien. Alors qu'étouffant sous la gerbe ensanglantée il se voyait partir, laissant ainsi le monde en proie au désastre Shunn le releva : « Debout ! Regarde ! Regarde enfin ! » Une lumière alcaline perçait le ciel emportant sur son passage une partie de la flotte ennemie. S'ensuivit une sorte d'ouragan dirigé vers le ciel, envolée d'éther tourbillonnante qui n'envia rien à l'attaque précédente... Tous les adversaires se muaient dans une stase hagarde devant l'incroyable de ce spectacle d'un autre âge. Puis une troisième attaque, expression incrédule d'énormes roches dures s'élevant du sable, aux proportions titanesques, comme si la terre se déchirait d'une montagne. Cette dernière s'écrasa dans les airs et arracha un vaisseau amiral. Non de force mais d'ahurissement, Rolann se releva ébahi. Ils sont arrivés...

Alors Shunn s'époumona : « Enfin ! Ils sont là ! Luttez ! Battez-vous Jusqu'à la mort s'il le faut ! Défendez la baie ! Les protecteurs de ce monde nous montrent la voie : Les Magistères sont là ! » En effet. Alignés sur la plage devant la multitude menaçante, une division entière de Magistères usait du Pouvoir afin de repousser les ennemis. A leurs côtés, les Juges de Menez Draguan et les Chevaliers Victoriens défendaient de même l'île, boutant hors des eaux ces obscurs adversaires en recourant à leurs arts du combat millénaires. Alors dans un sursaut d'orgueil et d'espérance renouvelée les étudiants se ruèrent à corps perdu dans la bataille. Tout espoir n'était guère vain. "Résister... Il nous faut tenir jusqu'à ce qu'ils l'emportent... Il faut lutter jusqu'au bout... "

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant