ELEANOR II

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Arthulian pouffa non sans ironie : « Et oui... C'est aussi cela l'Épreuve... »  Izumi ne savait que faire, que répondre. Shun n'esquissa  pas même le début d'un geste. D'ailleurs Izumi ne recherchait pas ses  yeux. Il s'agissait d'elle, pas d'eux. Et puis finalement de rage ou de  douleur, les deux certainement, elle releva la tête et gratifia aussi  Eleanor d'un honnête revers de la main : « Qu'en sais-tu toi ? Que  sais-tu de ce que j'éprouve pour lui ? Je n'ai forcé personne et il se  reconnait en moi ! Il se reconnait en ce que je lui apporte. Nous avons  la même culture tu sais... Il a oublié peut-être d'où il vient mais il a  le même teint, les mêmes yeux, les mêmes cheveux que nous. Nieras-tu  cette évidence Eleanor ? » Oui ils partageaient cela. Mais était-ce tout  ? Jusqu'à ce moment là, Eleanor s'était battue justement contre les  apparences, contre les préjugés, contre les différences abjectes. Il  avait fallu se faire accepter même au Pacifique. Aujourd'hui elle se  dressait contre sa sœur, elle devenait une disciple des Magistères. Alors non ! Cela n'était rien ! La différence, la culture, cela ne  voulait décidément rien dire à ses yeux : « Et ? Vous pouvez même avoir  exactement les mêmes pieds je m'en moque Izumi ! De Victoria à Menez  Draguan, en passant par le Pays de Jun ou Demetheria nous sommes les  mêmes ne comprends-tu pas cela ? Nous sommes tous les habitants de ce  monde, nous sommes tous les enfants des Neuf Pays. Que je sois une  princesse victorienne et toi l'héritière des familles les plus anciennes  du Pacifique, que Shun soit un naufragé ou un mendiant, tout cela ne  compte pas. C'est l'honnêteté de nos cœurs qui compte ! C'est ton souci  de l'autre aussi... Mais cela Izumi, tu en es incapable et tu sais  pourquoi ? Parce que tu n'es qu'une sombre égoïste pétrifiée dans le  fatras de sa tradition ! »

Izumi de rage ne put se contenir plus. Paume  ouverte dans le plexus, déplacement rectiligne et ruade de l'épaule,  elle exécutait les dix-huit premiers mouvements de l'immortalité. Sakura  s'en rendit compte la première : « C'en est fini... On peut dire au  revoir à Eleanor. » Effectivement. Le temps de s'en rendre compte cette  dernière se faisait littéralement pénétrer de part en part. Le flux  était trop rapide, trop puissant. Eleanor se voyait partir... Le sang  lui monta à la gorge. Neil porta la main à l'épée et commença à bouger.  Mais le Juge Loguard et Arthulian le stoppèrent calmement. « C'est une  princesse impériale ! Mon devoir est de... » Il se reprit... « Si tu  interviens maintenant tu la couvriras de honte. Elle a agi en son âme et  conscience. » Il ne pouvait pas, ne devait pas intervenir. Il le  savait, tous le savait, c'était cela l'Épreuve. Il serra les dents et se  calma. Eleanor ne s'en sortirait pas elle le savait. Mais au moins elle  avait réussi à dire ce qu'elle pensait et tous l'avaient entendue. Le  simple fait qu'Izumi en vienne à cette extrémité l'attestait : la vraie  gagnante c'était elle. Ses yeux se fermaient, l'abandonnaient. Elle se  sentait bien, en accord avec elle-même. Et puis une voix. Cette fameuse  voix. Comme un hurlement de loup.

« Eleanor ! Si tu veux changer et  assumer le poids de cet héritage toi aussi, tu dois vaincre ! Il ne  suffit pas de le dire il faut le faire. » Elle rouvrit les yeux. Qui ?  Mais qui ? En haut, en face d'elle Nadia se tenait droite avec les loups  du vent. Certains de ses hommes aussi crièrent : « Aller princesse !  Vous ne pouvez pas perdre ! Vous avez vaincu sous terre, il faut aussi  vaincre au-dessus maintenant ! » Le sourire bienveillant de Nadia la  toucha au plus haut point. Cette force incroyable, celle de l'amitié qui  transcende les frontières, créa chez elle quelque chose que personne  n'aurait pu prédire. Tout à coup elle voyait ! Elle visualisa et reconnut le flux qui  émanait d'Izumi. Alors des gestes mille fois répétés ressortirent. Elle ne  pouvait parer et égaler la vitesse des frappes alors elle frappa aussi  et appuya tous les points des méridiens qu'elle connaissait, tous ceux  qu'elle s'était évertuée à soigner toutes ces années durant. Pour ce  faire elle piqua de ses doigts dans le sens inverse de celui qui  normalement servait à réguler les canaux d'écoulement du Pouvoir.  Une  myriade, comme une nuée ou plutôt tel un abondant nuage de points disséminés  se dessinait devant ses yeux. Était-ce ? Non... Elle crut discerner le  visage de sa mère et la phrase toujours entendue durant son enfance  ressurgit : « Toujours suit le nuage stellaire Eleanor. »

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant