ROLANN I

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Rolann se réveilla difficilement. Ses membres le faisaient atrocement souffrir. Il se leva néanmoins et fut ébloui par la lumière qui pénétrait, blafarde, au sein de sa pièce sombre. Il ressentit une sensation de bien-être qui l'étonna. Une paix inconsciente et paradoxale. Tirant l'écran de tissus qui le protégeait de l'extérieur il recula prestement. La lumière douce se mua en une pluie de rayons luminescents. Les nuées célestes épousèrent l'espace alentour et il fut gagné par l'immensité de l'éther. Il flottait sur les nuages et l'immense vaisseau semblait aller à une vitesse relativement stable. Et puis sa mémoire se réveilla. Il se souvint. Kimôto, les batailles, son combat contre Sôra, l'homme masqué... Il se tâta machinalement le corps pour vérifier qu'il n'était pas blessé. Puis un autre souvenir. Plus douloureux celui-là : le corps percé de part en part et la mort qu'il avait frôlé de très près. Un sentiment d'abandon et de solitude. Mais tout à coup l'évidence : il se voyait à bord de nulle part en partance pour dieu seul savait où... Que fais- je là ? Se dit-il à raison... « La fille. » Il se remémora son fin visage d'albe, parsemé de rares taches de rousseur, puis remit son prénom. Suzan. Ses longs et généreux cheveux bouclés, châtain clair, et cette inconsciente impression d'automne. Il ne le perçut guère tout de suite mais l'envie, le besoin pressant de savoir s'insinua. Il trouva une sorte de miroir. Celui-ci sur l'un des côtés de la chambre épousait tout un pan de mur. Son reflet le fit sursauter de prime abord. Ce garçon aux cheveux bruns, presque de feu, dont la stature affinée par l'entraînement et les combats lui donnait un air dur creusé, était-ce bien lui ? Loin le jeune indigné, l'éternel insatisfait de nature bougonne par principe enlisé dans une marginale révolte. Loin aussi le fils de la riche famille Roufusblade. Ici et pour tous il était devenu Rolann Auberouge. Pour tous, sauf pour un. Shun... Que devenait-il ? Avait-il survécu à cette attaque d'envergure ? Était-il toujours sur l'île ? Jamais il n'aurait cru se retrouver dans telles situations. Pourtant... Pourtant le monde, ce monde, tellement différent et à la fois tellement semblable au sien. Cette nouvelle réalité parée d'embûches et d'obstacles lui offrait aussi ce que finalement il avait toujours recherché: le choix. Il avait là le choix de conduire ou non les rênes de sa destinée. De changer les règles de son avenir, de la providence. Il en avait la sourde certitude. Alors... 

Alors décidé, galvanisé par lui-même, il se para de ses noirs habits d'étudiant draguien, frappés au seau rouge spiralé des trois phœnix, et il se dirigea vers ce qui semblait être la porte de ses appartements. Prévoyant qu'elle fut verrouillée il appuya fortement sur la poignée et manqua tomber en trébuchant dans l'entrée. A l'extérieur il fut frappé par le mouvement ininterrompu d'hommes et de femmes affairés à toutes sortes de tâches inhérentes à un bâtiment de cette envergure. Ils portaient tous un uniforme de couleur rubis, découpée de deux teintes sombre et claire. Les doublures étaient d'un noir de carbone. Seules les bottes, rehaussées de noir au niveau des talons, étaient couleur de neige. On le regarda comme une étourderie dans cette importante organisation. Certains même lui sourirent. Visiblement il était connu. En tous cas avait-on donné son signalement. Alors comme il en avait pris l'habitude depuis qu'il s'était réveillé en pleine rixe dans la ville de Phoexia, à Menez Draguan, il prit un air très naturel. Il rendit les sourires et marcha. Il suivit les flux de personnes qui s'avançaient devant lui. Il put remarquer ce qu'était ce vaisseau. Les lignes fuselées et ondulées des intérieurs, les ponts donnant sur de grands vides, les différences de hauteur qui donnaient à l'espace un rythme particulier et recadraient l'échelle humaine. Il put se rendre compte aussi qu'au contraire de la coque, l'intérieur du vaisseau se révélait fort lumineux, reflétant les rayons du soleil à l'aide d'un matériau lisse qu'il ne connaissait guère. Oublié mais pas perdu, il visitait le navire céleste. Puis il remarqua à un endroit une lumière plus forte. Attiré il put admirer un jardin aménagé dans l'espace du vaisseau ! Quelle incroyable beauté. L'on pouvait y accéder par des portes vitrées. Il entra. Il fut égayé par l'odeur végétale des arbres qui lui monta rapidement au nez. Descendant le long des rampes courbes qui amenaient au jardin lui-même, parsemé d'arbres fruitiers et de nombreuses essences de fleurs, il se demanda s'il ne rêvait pas. L'ivresse de cette nature volée au milieu de ce vaisseau du ciel. Incroyable mais vrai... 

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant