SHUN I

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La trêve de l'Épreuve offrait à Shun de quoi se remettre des émotions de l'arène. Que de puissants combattants, que de nouveaux visages aux aptitudes les plus impressionnantes les unes que les autres. Pourtant au fond de lui, au fond de son âme héritière de plusieurs générations de guerriers nippons, Shun n'acceptait guère leur supériorité. Il demeurait lui aussi un combattant. Et à la différence de beaucoup, dont Rolann, il ne l'était pas "devenu". Il était né guerrier, fils et petit-fils des hommes du clan Tanaka. Plus qu'une envie ou un besoin il s'agissait de son devoir. Toucher à l'excellence du principe du bushido, dominer et se distinguer dans tout ce qui se rapportait aux arts martiaux, briller dans les arts classiques ou les lettres, bénéficier d'une formation intellectuelle solide... Rien n'avait changé depuis l'âge d'or de la période Edo

Durant la période Edo (1600-1968), les samouraïs s'écartent des champs de bataille pour parfaire leur formation artistique et littéraire. L'aristocratie guerrière épouse le rythme de vie des fonctionnaires d'état du régime Tokugawa. Pourtant des règles très strictes sont codifiées, rappelant ainsi l'âme du combattant et statuant les écoles et les nouveaux modes d'affrontements entre duellistes. C'est le Bushidô : la voie du guerrier. 

Rien... Sauf que là certaines règles s'avéraient différentes. Ces compétences, incroyables pour n'importe quel individu de son propre monde, s'avéraient monnaie courante dans celui-là. Pourtant il savait qu'il pouvait aussi, grâce à l'enseignement de son clan, se distinguer. Il devinait que ces capacités si étonnantes fussent-elles ne décidaient pas tout. Un homme restait un homme et là comme ailleurs, l'être humain obéissait, participait de réalités similaires. Pourtant... Comment rester soi-même ? Comment obéir à ses principes, comment suivre la voie ? Comment se montrer digne de son nom, de son sang ? Au fond et malgré ses questionnements nombreux, il louait le fait d'avoir échoué à Kimôto, fleuron des îles du Pacifique. Là il pouvait s'exprimer et se former. Il trouvait une résonance avec ses propres obsessions. Et il l'avait rapidement compris, Kimôto obéissait à un style de vie qui lui correspondait particulièrement. Même si il ne lui avait pas été donné de s'y rendre personnellement, il ne doutait guère que Victoria ou encore Menez Draguan s'en écartaient. « J'ai tout de même cette chance... » La situation se voulait simple. Il devait trouver la façon d'être en accord avec lui-même, d'être digne de son héritage. Pour cela il lui faudrait maîtriser les arcanes de ces enseignements nouveaux, il devait se rapprocher de la science du Pouvoir maîtrisée par les Magistères et il devait comprendre le fonctionnement global de cet univers. Et puis... Peut-être trouverait-il un jour le moyen de rentrer ? Peut-être jamais. En tous cas quoiqu'il advienne il parviendrait à faire valoir son nom, celui de son clan : les Tanaka ! 

Mais alors qu'il s'enfonçait dans ces considérations claniques il ressentit une vive douleur sous l'aisselle. Encore cette maudite blessure. Elle s'était quasiment refermée mais une tache noire s'étalait désormais. Le poison, avait-il cru d'abord. Mais les moines du temple étaient formels : il n'y avait guère de poison en lui. Il faudrait attendre le retour de mission du magistère Serenity Teva, experte dans l'application médicinale du Pouvoir. Et justement le jour tant attendu était arrivé. Enfin... Non qu'il fut inquiet pour lui-même, mais Izumi et Sakura n'en finissaient plus de s'enquérir de son sort ! Surtout Izumi, forcément. Accompagné de Tetsuo il traversa la Faculté Universelle et se retrouva assez rapidement dans le laboratoire du Magistère Teva. Après une attente qui lui parut interminable il finit par être reçu. Du bout des lèvres elle le salua et elle l'invita à s'étendre sur ce qui s'assimilait à une banquette. Un calme presque inquiétant émanait de son bureau. Des plantes à n'en plus finir un peu partout. Des ouvrages nombreux de médecine, d'études de botanique, de biologie, d'anatomie... Tout ce qui se rapportait de près ou de loin au fonctionnement du corps semblait archivé là-bas. Une odeur d'ammoniaque légère, comparable à celle d'un hôpital mais moins abominable tout de même. Elle l'ausculta quelques minutes sans un mot. Tetsuo attendait un peu en retrait, stupide d'admiration devant tant d'objets d'étude... Puis il perçut le cri de douleur de son ami. Serenity Teva venait de lui lever le bras et d'appuyer sur un point précis. Il hurlait comme un goret que l'on prive de sa gorge. Elle dit sur un ton monocorde sibyllin : « C'est bien ce que je craignais. Tetsuo dehors.» Il s'exécuta. 

Après avoir posé quelques questions sur les conditions exactes de l'apparition de cette marque elle exposa la réalité : « Tu t'es fait percer par une substance particulière et très rare. Ta vie n'est pas en danger. Mais ton intégrité si. Il s'agit, comme tu le sais sans doute déjà, d'une sorte de pacte entre toi et celui ou celle qui t'a infligé cela. Dans quelques jours si nous ne faisons rien qui sait ce que tu traverseras... Qui sait ce que tu penseras. Ou plutôt qui pensera à ta place. Je n'ai pas de remède. » Pas un mot. Quel sang-froid. Peut-être impressionnée par tant de caractère Serenity rajouta : « Mais je peux en revanche contenir l'expansion jusqu'à ce que nous trouvions quelque chose. Cela risque d'être douloureux... » Shun répondit du ton le plus distant : « Faites. Tant que je peux me battre. » Alors pendant deux bonnes heures il ressentit dans sa chair une douleur féroce. Des aiguilles longues comme des couteaux s'enfonçaient doucement dans les fibres de ses muscles sous l'aisselle, jusqu'aux côtes. Serenity entoura toute la tache. Puis elle se concentra et frappa méthodiquement quatre points particuliers sur la même zone. Elle le retourna quelque peu et frappa encore mais cette fois-ci sur le corps entier. Il s'évanouit de douleur. Elle appuya quelque part au niveau de la nuque et il s'éveilla, quelque peu abruti. Les aiguilles avaient été retirées. « Voilà. Cette marque ne s'agrandira plus guère mais elle n'est pas non plus éradiquée. Tu n'es pas sorti d'affaire. Pourtant tu as de la chance. Je pense qu'il n'y a que deux personnes dans ce monde capables de faire ce que je viens d'exécuter. Et j'en fais partie. La seconde est mon maître. Vas, tu as besoin de repos. Je te contacterai dès que j'aurai trouvé comment te soigner. » 

Shun se relevant difficilement salua au plus bas qu'il le pouvait et, aidé par Tetsuo, se mit en marche. Il devait rentrer dans les quartiers des étudiants. Les aiguilles avaient rendu son corps aussi ruisselant qu'après une séance d'entraînement. S'adressant à Tetsuo il demanda tout de même : « Sais-tu pourquoi le Magistère Serenity Teva est aussi froide ? Est-ce à cause de moi ? » Tetsuo mit un peu de temps à répondre. Comme toujours lorsqu'il réfléchissait il réajusta les montures de ses verres carrés énormes. Puis un peu mal à l'aise il lâcha prestement : « Tu sais Serenity Teva est connue pour sa douceur et sa disponibilité. Mais en ce qui te concerne elle doit penser à Eleanor. Cette dernière est un peu sa protégée en fait et... » Shun cédant à un mouvement d'humeur se détacha des bras amis qui le soutenaient. En claudiquant de douleur il siffla : « C'est bon j'ai compris. » Il semblait réellement vexé. Tetsuo s'étonna d'une réflexion aussi primaire chez son ami. Cela ne lui ressemblait qu'assez peu ce qui trahissait un vif énervement. Cet énervement trahissait aussi le fait qu'il se sentait d'une manière ou d'une autre, concerné voir responsable...


Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant