NEIL

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Neil se sentait fort bien cette après-midi-là. L'Épreuve du Pacifique répondait à toutes ses attentes. Enfin presque toutes. Indépendamment du fait que les participants se furent battus justement non sans honneur il aurait tout de même aimé que les victoriens se démarquent plus. Quelques coups d'éclat dans les salles adjacentes, mais pas de brio extraordinaire.
Cette génération se retrouverait-elle surclassée par celles des autres pays ? Ou alors était-ce à Victoria que le sang s'avérait plus « faible » ? Cette dernière considération l'obsédait d'autant plus qu'il était presque certain que le problème venait effectivement plus de l'Empire lui-même  que du reste du monde : « Une génération de mollassons, une époque de couards... Voilà ce vers quoi tend la mère-patrie. Vais-je rester là à regarder cette nation s'affaiblir sans rien faire, les bras ballants ? » Il crispa son poing d'exaspération. Pourtant il avait tellement fait déjà. L'orphelinat d'Ordia recelait de futures âmes nobles éprises de justice. L'Ordre du Faucon qu'il avait créé représentait un exemple dans toute l'armée, le fleuron de l'accès à la Chevalerie par le mérite. Le changement semblait donc possible... Pourtant que représentaient ces réalités face à l'immense Empire ? Face au nombre et aux habitudes ? Et là, au sein de ces îles de légende abritant la République du Pacifique, il comprenait instinctivement que de Menez Draguan au Pays de Jun, de Demetheria au Pays de Rokku, le monde changeait. Les hommes devenaient plus forts et dotés d'une volonté farouche. Il commençait à partager les craintes de Phybraz. Et cette certitude il la devait non à la finesse d'analyse de son politique d'ami, mais à son expérience d'homme de terrain, à l'observation directe et sans détours des combats de l'Épreuve. « Phybraz... Tu étais dans le vrai et ce bien avant tous. » Pour éviter la décadence de ce pays majestueux, de l'Empire du Lion, il fallait changer et restructurer Victoria. Voilà le souci premier de cet admirable penseur qu'était le Duc Phybraz d' Arlénon de Rubrum. Leurs idéaux se rejoignaient et leurs compétences s'avéraient particulièrement complémentaires. Il restait pourtant stupéfait par les prédictions de son ami. L'Épreuve nous apportera encore son lot de découvertes mais dès que nous serons rentrés en Victoria nous devrons œuvrer de concert mon cher Duc. Cela semble inévitable...

A mesure qu'il réfléchissait son calme revenait. Après tout, des difficultés il en avait rencontrées et toujours en était-il sorti grandit. Il faudrait simplement accélérer les choses. Marchant le long des allées plantées de la Faculté Universelle il jouait désormais avec son épée dont la garde concédait, gravée, une tête de Faucon. Le ciel dégagé et bleu. Un vent printanier chargé d'iode soufflait et il se sentit incroyablement fort. Puis il ressentit de la faim. Descendons dans la ville nous quérir de quoi nous repaître ardemment ! Il s'exécuta donc et devant la fameuse lance des dieux, le ponton extraordinaire qui partageait l'océan en deux, il inspira du plus profond de son être avant de relâcher l'air avec force lenteur. Régénéré il prit les longs escaliers taillés dans la roche qui permettaient d'accéder à la ville en contre-bas: l'immaculée Kimôto. A mesure qu'il descendait les points blancs bleutés faits de maisons, d'échoppes, de tourelles s'agrandissaient et il discernait murs, toits, tuiles et autres places. Il s'engouffra au sein d'une ruelle fort étroite et guidé par des odeurs enivrantes de poisson braisé se retrouva devant un établissement tout de bois à la toiture appréciable s'étalant un peu sur la rue. De même que quelques autres bâtiments de cette envergure dans la cité, le bois était laissé apparent, contrastant avec le ton légèrement laiteux de la ville. Il entra. Là il put s'assoir à même le sol, les jambes difficilement croisées, goutant des mets succulents, produits des Neuf Mers de Cetherlence. Il se concentra sur les plats traditionnels locaux. Comment diable faisaient-ils pour rester ainsi des heures, prostrés dans cette position tout à fait inconfortable assis en tailleur ? Il se resservait de ces tranches de poisson cru marinées quand il l'aperçut. Un garçon habillé de noir des pieds au col, les trois phénix de feu sur le torse, les cheveux châtains légèrement bouclés et un regard de braise, pourtant couleur de cendre.

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant