Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Des hommes inconnus osaient s'en prendre à l'île... Son île désormais. Il observait en courant ces assaillants de nature et de couleurs différentes. De noir, de marron ou parsemés d'obscurs nuages azurés. Tout ceci lui semblait trop opportun, trop bien huilé, trop bien pensé. Pourquoi à ce moment-là justement des obédiences différentes auraient voulu s'emparer de l'île et déséquilibrer le Pacifique ? Plus que le Pacifique lui-même, en ces temps d'Épreuve, le monde... Et ce marron ? Comme beaucoup il avait tôt fait de reconnaître la facture de ces uniformes... Ils ressemblaient étrangement aux tissus flottants que portaient ceux du pays de Rokku. Ce Sôra au quartz meurtrier! Mais aucune preuve. Rien d'autre qu'une analogie dépourvue d'emblème. Devant lui des combattants toujours plus agressifs. Soldats aguerris et volontaires. Il ne décelait pas le niveau des participants de l'arène. Cependant il était clair que ces soldats avaient pour la plupart de l'expérience, s'avéraient rompus aux mêlées et à la nécessité de tuer avant de l'être soi-même. Pas de quartier donc. Tout allait si vite. Par trois fois ils s'étaient arrêtés et avaient dû se battre à mort afin de se frayer un chemin. Ils traversaient le centre des installations de l'Université, à quelques minutes de la Lance des Dieux et de l'entrée du campus. Il jeta un coup d'œil inquiet derrière lui. Tous le suivaient : « Il nous faut nous hâter ! Nous devons protéger la lisière de la forêt des Dalles ! » Selon les ordres Eleanor s'occuperait de contenir le point d'accès de la Bibliothèque. Eleanor... ne meurs pas. Son cœur avait beau appartenir à Izumi il ne pouvait s'empêcher d'être sensiblement inquiet pour sa bienfaitrice, celle qui l'avait trouvé et aidé il y avait de cela des mois. Presque une année entière...
Tout à coup une aura. Il recula d'un pas se cognant par la même occasion à Tetsuo qui trébucha et manqua entraîner dans sa chute Sakura puis Izumi. Ce dernier s'indigna : « Eh bien ! Regarde où tu mets les pieds enfin !!! » Shun ne répondit pas. Au milieu de la tempête se tenait devant lui l'ennemi. Désarticulé et manifestement ennuyé il se grattait la cuisse gauche. Le regard perdu, le cheveu châtain éclairci de reflets orpiment tombant sur un front trop large, des yeux exorbités d'une curiosité aveugle. Il devait sourire car l'on pouvait discerner plus ou moins ses dents grincer sur le côté. Il ne les voyait pas. Shun l'observa et avant que Sakura ne s'en mêle il lui saisit le poignet : « Sakura. Prends la tête. Je m'occupe de lui. Je vous rejoindrai plus tard. » Levée de boucliers. Izumi la première s'insurgea contre cette décision. Pourquoi ? Qu'ils se battent tous ensemble, cela irait bien plus vite. Et puis pourquoi se séparer ? Une très mauvaise idée. Elle se perdit en explications douteuses. Tetsuo l'accompagna. Alors Shun déterminé les coupa sans ménagement : « Arrêtez vos gamineries. L'île est attaquée. Nous devons tenir le front du Nord. Il ne s'agit plus de nous et de nos singeries immatures. Nous serons tous des Magistères ! Assumez ce devoir ou fuyez. Vous savez pertinemment que je suis le seul à pouvoir le contenir. Sakura malgré sa force sans toi Izumi ne pourra exprimer tout son potentiel. Vous êtes formées à travailler de concert sur un champ de bataille je le sais fort bien. Tetsuo ne fait pas l'enfant. Aller ! Partez ! » En dépit de la rudesse et de la froideur du propos il était manifeste que Shun essayait de les protéger. Il avait déjà la carrure d'un Magistère... Il était le meneur naturel. Izumi voulut encore discuter, aveuglée par son amour. Mais Sakura la tira vers elle. Tetsuo psalmodia quelques mots qui immobilisèrent les assaillants alentours vêtus de marron. Les craintes de Shun se vérifiaient. Il s'agissait bien du Pays de Rokku. Sôra revint à lui très rapidement : « Bon. Le menu fretin a disparu. Ils ont pu fuir, tu es content ? »
Shun observait. Alors Sôra se tenant le front ricana : « Tu te crois fort hein ? Tu joues au héros... Pourtant les héros ne vivent pas très longtemps dans le vrai monde tu le sais ? Tu vas finir comme cet Erik. » Le rire qui accompagna cette sentence lui fit froid dans le dos. Mais il dit quand même à l'attention du jeune ressortissant du pays de Rokku : « Ce monde n'est pas réel pour moi. Et je n'ai jamais prétendu être un héros. Nous différons je vais te le montrer. Quand à Erik il t'aurait sans nul doute écrasé si tu ne te cachais pas derrière tes jeux de bac-à-sable. » Le jeu de mot piqua Sôra. « Très bien... Tu veux mourir ? Je vais t'y aider. » Shun ne put réprimer ses appréhensions légitimes. Devant lui, certainement le combattant le plus effrayant de l'Épreuve. Mais en même temps quelle chance inestimable. Protéger Kimôto ? Certes... Permettre à ses amis de s'échapper pour un sursis relatif ? Bien sûr... Mais pouvoir en découdre avec Sôra... Voilà pourquoi ! Je vais te montrer ce que c'est qu'être un Tanaka. Tu vas payer pour Erik de Menez Draguan et pour tout ce que tu as fait jusqu'ici... Il le pointa du doigt : « Je déteste les types comme toi. Taré et dissimulé derrière le prisme sympathique de la souffrance. Tout le monde souffre. Il t'appartient d'avoir le courage de t'en sortir ou pas. Je vais te donner une bonne leçon et te punir pour l'attitude déplorable que tu as démontrée durant cette Épreuve. Je ne sais ce que vous tramez toi et les tiens, d'ailleurs je m'en moque. Mais aujourd'hui tu vas mordre la poussière. » Sôra tremblait de plaisir. Quelle arrogance, quelle naïve détermination. Tout en lui réclamait cette inévitable opposition. Son excitation grandissait à vue d'œil, Shun le percevait. Peut-être en avait-il trop dit ? Mais non... Il pensait tout ce qu'il venait de déclarer. Sôra l'invita de la main : « Viens paciféen. Viens me montrer de quoi tu es capable... »
Touchant son front proéminent il se cachait une partie du visage, ne laissant paraître qu'un œil inquiétant et creux, vert de pupille mais entouré de cernes épuisées. Shun inspira doucement. Lui aussi sentait l'énervement s'emparer de lui. Et comme à chaque fois qu'il éprouvait une contrariété depuis qu'il s'était fait planter sous l'aisselle, un sentiment négatif réveilla la douleur. La marque lui crispait les sens. Je dois me calmer. Et je dois te prouver... C'est moi qui vais vaincre. A la simple pensée de son ancien ami il se reprit. Il dit haut sans s'adresser directement à Sôra : « C'est moi qui le battrai. Rolann tu ne m'arrives pas à la cheville de toutes les façons. » Sôra questionna incrédule : « Mais de quoi tu parles ? Tu dérailles ? Aller, approche ! » Shun fonça sur le porteur à la bassine de cuivre qui déjà en appelait au quartz. Il pénétra dans l'épais brouillard qui se formait dés lors. Mais quelque chose l'interpella. Pourquoi donnait-il autant, et dès le début ? Tant de quartz. Il respirait difficilement. Il évita non sans souple finesse les attaques. Se déplaçant sur des pas ronds, donnant une impression d'adaptation continue, d'ondulations dans l'espace. Des cercles en mouvement. Pourtant l'air s'épaississait rapidement. Il parvint à cogner son adversaire. Une dizaine de frappes de la paume à des points précis. Son apprentissage payait. Sôra s'affaissait, et ce malgré la protection du quartz. L'espace redevenait respirable. Shun de toute sa hauteur dit méprisant : « Alors ? C'est tout ce que tu sais faire ? Tout ce quartz ne sert plus à grand-chose une fois que l'on est familier de l'art des Magistères. Mon entraînement a payé on dirait et... » Il ne put finir sa phrase. Un bras matérialisé de quartz l'étouffait. Il fut projeté à quelques trois mètres. Se débattant en agrippant la saisie mortelle il essaya sans résultat de frapper cette monstruosité. Il ne respirait plus. Que ? De Sôra resté au loin, ou plutôt de sa bassine, le quartz sortait dans toutes les directions, riche et compact. Sôra souriait possédé. Il crut percevoir quelque chose, comme une aura inconnue, un esprit puissant. Oui... L'esprit des monts de Rokku ? Était-ce possible ? Le bras de quartz s'épaississait encore et privé d'air Shun se sentit partir.
Avant de perdre conscience il crut avoir cette vision inconcevable que pourtant il avait reconnu déjà durant les combats de l'arène. Brodé sur les étoffes de Sôra, cet animal extraordinaire, mi pachyderme mi lion. Exprimé dans toute sa démente superbe, ce dernier rugissait derrière le garçon fou du Pays de Rokku, les yeux perçants et mauvais, le regard fier et beau. Sur son corps aqueux et pourtant flamboyant de bleue lumière un mélange d'énormes écailles claires comme le quartz et de pelage foncé comme l'eau des torrents des monts de Rokku. Son corps de mastodonte semblait une armure et était couronné par une énorme tête de lion. Shun s'étranglait mais ne contenait pas son admiration. Une queue enflammée azurée d'une longueur extrême s'étendait dans l'espace irrespirable. La crinière aux reflets bleu-vert asseyait sa prestance royale. Deux cornes géantes semblait vouloir percer les cieux, ivres de rebelle liberté. L'animal mythique commandait à l'eau, commandait à la roche. Un esprit des hauteurs, celles des monts de Rokku. Une évidence de destruction et de carnage, une soif de mort inhabituelle, ancienne, antique, immuable... Puis le silence. Comme si jamais rien ne s'était passé, seuls le quartz et la bassine. Pas le moins du monde entamé Sôra s'en retourna. Comme s'il fallait désormais trouver d'autres victimes. Se grattant la cuisse il murmura tout de même : « C'était ça Shun du Pacifique ? Pas génial. J'espère que les autres seront plus tenaces. » Satisfait il prit la direction du Sud. « Où déjà ? Ah oui. Log et les autres. Aller... » Touchant son front douloureux il se déplaçait en traînant les pieds. Shun luttait effondré, loin du sourire cynique de Sôra. Avait-il rêvé ? Il fallait prévenir tout le monde, il était trop fort pour les gens de ce monde. Et cette vision. Avait-il bien discerné un Monstre ? « Izumi, Rolann je... Je. » A terre l'élève d'Arthulian Edgemaster perdait son premier véritable combat dans cette bataille. Essayant de rester conscient jusqu'au bout ses dernières pensées furent pour ses amis. Il devait les protéger. Il ne put cependant se débattre plus et se perdit dans les méandres de l'inconscience...
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...