NEIL II

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Arthulian le premier, d'une main ouverte et tendue vers la multitude d'astronefs, expira longuement et profondément. Une aura saphir et pâle l'entourait, épousait sa silhouette et illuminait ses pupilles. Un vent d'une violence infinie naissait de sa paume ouverte. L'effort qu'il fournissait semblait immense, pourtant il tenait. Le vent s'était mué en un ouragan. Des bourrasques sans tailles emportaient tout ce qui peuplait le ciel. Envoyés au loin ou écrasés sur le sol humide de la plage, les soldats ennemis mourraient impuissants ou se tordaient de douleur, pliés et désarticulés. Certains réussissaient à s'extirper des astronefs désormais prisons d'acier...Il restait pourtant des ennemis, beaucoup d'ennemis. Alors le Magistère Gaies agit lui aussi. Expirant, d'une voix plus gutturale que son égal et frère dans l'ordre, il pointa ses deux paumes vers les flots, phalanges serrées et légèrement tremblantes. Le sol s'entrouvrit tellement que du roc en sortit, friable, coupant, impitoyable. La roche géante s'abattait sur les astronefs restant, mêlée au vent d'Arthulian. Son épaisseur et sa dureté écrasait au sol les ennemis en prenant soin d'éviter les alliés. Quelle maîtrise exemplaire du Pouvoir... L'aura qui entourait Gaies se teignait d'ocre et d'or. Il expira encore et rasa toute l'aile Est composée d'adversaires. Un monstre... Ce fut en tous cas ce que pensa Neil. Et puis comme cela ne suffisait guère, et que des ennemis il en restait un certain nombre, Qinn Loguard, l'un des onze Juge de Menez Draguan, avait pris appui sur un monticule de cadavres. Sautant dans les airs il frappa dans le vide en visant tout autour de lui dans un rayon de trois-cent soixante degrés. Chaque frappe se voyait accompagnée d'une expiration et chaque expiration engendrait au loin sur le rivage un petit cratère semblable à ses poings grossis une bonne centaine de fois. Hommes, astronefs, bataillons... Tout ce qui se retrouvait dans la zone de ses coups se voyait transpercé et ce peu importait la distance. Une aura d'un rouge vermillon épais, sanguin, avide de vie le protégeait. Rêvait-il ? « Sont-ce là des hommes, sont-ils encore humains ? » 

Les capacités et la maîtrise du Pouvoir allaient encore, mais à ce point, avec autant de disproportion par rapport au commun des mortels... Jamais dans ce siècle, ni dans les trois derniers du reste, il n'avait été question de ce genre d'exploits. Mais jamais Kimôto n'a été attaquée depuis au moins mille ans... Quant aux draguiens... Plus rien ne l'étonnait venant d'eux. Un peuple de guerriers obsédés par l'ordre et le combat. Il ne restait presque plus rien des hommes qui quelques minutes à peine plus tôt les subjuguaient. Serenity Teva intervint alors et commença à soigner tous les survivants. Ennemis, amis, peu importait. Elle et ses médecins-Magistères soignaient tous ceux qui en avaient besoin, tous ceux qui souffraient. Neil ne comprenait guère. Ou plutôt si, il ne comprenait que trop. « Ces Magistères sont rompus à d'autres exigences éthiques, ils évoluent sur un tout autre plan moral et spirituel. Ils défendent l'île et soignent tous les blessés, alliés ou non. Jamais ils ne participeront à une guerre... » Et c'est une chance. Pourtant alors que tout semblait maîtrisé de ce côté de l'île un bataillon arriva par l'Est, du front tenu par Justice. L'échine de Neil se raidit. Il reconnut les uniformes foncés noirs, gris et surhaussés de rouge des hommes de celui qui s'était présenté comme s'appelant « Saviour ». Cassandra... Il remit main à l'épée et vit une tornade d'eau s'élever dangereusement, pourlécher les nuages et s'abattre avec fracas sur les hommes qui lui faisaient face. La moitié fut emportée par les eaux, l'autre étalée inerte, inconsciente ou tout simplement morte sur le sable visqueux. Serenity Teva venait de démontrer qu'elle ne soignait pas seulement, elle pouvait aussi attaquer... Une aura bleutée l'enveloppait et animait ses pupilles impassibles. Il lui sembla qu'elle allait encore en découdre. Les trois hauts Magistères faisaient face, immobiles et décidés à se battre jusqu'à la mort. Le Juge de Menez Draguan sur leur droite avançait et allait très certainement attaquer le premier. Devant eux le reste des « terroristes » de Justice avec à leur tête ce qu'il fallait identifier comme deux généraux. Les mêmes attributs que Saviour en moins complexes. Le visage à moitié caché, protégeant ainsi totalement leur identité, comme tous leurs hommes du reste. 

Neil respectait et comprenait le combat des Magistères, mais il savait aussi que leurs forces leurs manqueraient. Ils se voulaient certainement des êtres incroyablement puissants mais ils demeuraient des hommes et il n'y avait guère besoin d'être un Magistère pour comprendre que le Pouvoir n'était guère inépuisable, que son utilisation poussée demandait une énergie considérable et que leur souffle s'émousserait à force. Et puis... « Et puis il est temps que le Capitaine des Faucons démontre ce dont Victoria est capable ! » Neil courut et déboulant entre ces deux factions s'adressa aux Magistères en fixant Justice. « Il suffit. Ces hommes sont à moi. Reculez ! » Arthulian pas le moins du monde entamé répondit sans émotions qu'il ne saurait en être question et que ce combat était le leur. Le devoir des Magistères était de protéger la côte Est, et ils entendaient s'acquitter de cette tâche jusqu'au bout ! Sans se retourner Neil répondit non sans une pointe d'ironie : « Allons chers Magistères. Ne soyez pas aussi obtus. La première princesse de l'Empire affronte à votre place le leader de ces séparatistes, ce Saviour, et vous voulez m'enlevez le plaisir de croiser le fer avec eux? Vous vous moquez j'espère ? » Il disait vrai... Depuis le début ils avaient failli en laissant Victoria les seconder. Et puis ils devaient profiter de cette aide providentielle pour reprendre des forces. Arthulian s'adressa à Serenity Teva, laquelle s'était intelligemment ménagée jusque là : « Magistère Teva, pardonnez cette demande mais pouvez-vous mettre à contribution vos talents et reconstituer notre aura ? Le Pouvoir est toujours trop concentré sur les champs de bataille et nous le payons dés lors. Chevalier Neil je vous laisse momentanément le commandement. » Fort heureusement les hommes de Justice paraissaient fortuitement amusés de la situation derrière leurs masques, il l'aurait juré. Qinn Loguard s'approcha et à hauteur du Chevalier dit sans sourciller : « Je vais vous aider. » 

Neil s'inquiéta de savoir s'il ne devait pas lui aussi profiter des soins des médecins-Magistères. Qinn répondit confiant : « Certes non. J'ai déployé beaucoup moins d'énergie qu'eux car j'ai visé moitié moins d'ennemis d'une part, et je n'ai pas bêtement essayé de me contenir pour en épargner le plus possible de l'autre. Leur idéal de non-violence et d'équilibre les pousse dans de sérieux retranchements. » Neil fut quelque peu abasourdi par les propos du Juge mais à la fois rassuré. Avec un draguien, la pitié s'avérait exempte. Dégainant Silverhawk, il s'abattit sur le premier des deux généraux leur faisaient face, entrant avec Qinn dans une joute sans merci. Autour d'eux les étudiants draguiens les avaient rejoints, à moitié en transe tant le sang bouillonnant de leur peuple excitait leur soif de juste cruor! Les Magistères impassibles observaient concentrés devant cette danse mortelle, attendant de récupérer la totalité de leurs capacités et profitant des dons exceptionnels de leur condisciple. Au milieu de la folie, et alors qu'il croisait le fer avec son adversaire, Neil lui aussi sentait grandir l'attrait de l'excitation du déchaînement. Mais cela n'était en rien le fait de son sang, non... Cela il le devait à son rêve, son but, sa soif toujours plus importante, grandissante de reconnaissance et d'exploits ! Il devait s'élever et se réaliser à travers les batailles, c'était son chemin, sa voie. Il devait devenir un champion, un héros ! Et cela, l'attaque de l'île lui en donnait parfaitement le droit et l'occasion... Je suis Neil Highwind, le faucon victorien ! 

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant