ARWIN et ANDERS

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Il suivait soucieux. En retrait. Toujours. Au fond, qu'avait-il jamais espéré d'autre que de la suivre ? Un gros tas. Rien d'autre ne lui venait à l'esprit lorsqu'il se confrontait au miroir de son amour propre. A quelques pas cette épaisse chevelure polaire, ces reflets de diamant brut. Cette démarche fièrement chaloupée, noble et nuancée qui réussissait à l'absorber lors même qu'un nombre appréciable de couches de tissus couvraient un corps fluet et bien fait. Et lui ? Qu'était-il finalement ? Une énormité. Une lamentable boursouflure. 

Pourquoi sur lui les cheveux de platine semblaient ternes et huileux, salis par le trop plein de sueur de sa grasse silhouette ? Pourquoi avançait-il comme une outre trop pleine qui se dandinait bon gré mal gré sur le sol difficile, en usant de pivots et de contre pivots pour équilibrer sa démarche rugueuse ? Dieu qu'ils étaient différents et pourtant jumeaux. Seuls leurs pupilles violacées les rapprochaient. Et encore... Les siennes brillaient d'un feu plus obscur, plus ténébreux. Elle se retourna. « Je crois que nous arrivons vers les Suds mon frère. Regarde comme au loin les nuances du jour changent. Je perçois du bleu, de l'azur, la lumière douce et chaude de l'austral continent. » 

Il ne saisissait rien. Il ne possédait ni son discernement, ni son don de vision. Elle était l'une des prêtresses de la tour sans fin, elle savait lire le ciel et les étoiles, elle possédait des traces du futur. Lui possédait une opportune intelligence et un appétit féroce. Et comme toujours, elle avait raison. Depuis quelques temps les journées devenaient plus longues, le temps s'équilibrait. La neige, le vent et le froid. Le froid du nord plus tranchant et pénétrant que la plus aiguisée des lames de Sinorjeva. Ce froid qui lorsqu'il vous léchait annonçait mort et souffrance, ce froid reculait de jours en jours. Depuis quand avaient-il quitté la protection de Sinovia, leur ville sacrée ? Il lui semblait des années. Elle lui assurait pas plus de deux mois. Deux mois ! À se nourrir de racines et de fleurs-glace. À creuser pour déterrer les vers. Il s'était étonné qu'ils soient si nourrissants. Et quand Arwin avait enfin compris combien son jumeau de frère avait besoin de se remplir, elle lui avait expliqué comment trouver les triquens. 

Des vers énormes de la taille d'un bras qui grouillaient sous terre à proximité des arbres-glace, blancs et hauts, durs comme le cristal. Seule végétation palpable à la surface en dehors de la multitude qui dormait sous la poudreuse. Les triquens... Il en avait gobé plus que mâché des centaines. Crus la plupart du temps. Il n'en pouvait plus. Oh... Il aurait pu évidemment se contenter des fleurs et autres feuilles que sa prêtresse de sœur trouvait. Mais comment se rassasier ? Il fallait que ce voyage aboutisse et vite. Se mettre à l'abris des Grands Ours, des Loups d'éternité et des Onces des hauts. Se cacher dans des grottes glacées ou sous les fourrures enduites des huiles uniques de Sinorjieva, lesquelles recréaient la chaleur comme le soleil enfante la lumière. 

Toujours se terrer dans la peur des éléments ou des fauves, il ne le supportait plus guère. Lui ne pouvait percevoir comme sa sœur les lueurs changeantes du ciel mais savoir qu'il sortirait enfin de l'enfer lui procura une vague de plaisir. En tous cas de l'espoir. Encore trois jours de marche. Puis il ne crut ce qui se dessinait devant lui. Telle une limite dessinée par les dieux, le blanc éclatant et pur s'arrêtait net laissant place aux paysages verdoyants les plus différents. Certes le froid ne mourrait pas aussi facilement. Mais là s'affaissait le règne des glaces. Du sol verdoyant mais dur, d'extraordinaires montagnes renversées naissaient. D'une base terreuse évasée et solide comme l'acier germaient des îles porteuses d'eau et de cascades. Quel enchantement. Il s'agissait bien de la frontière des mondes : Veltia

Là comme de l'autre côté des terres à l'extrême sud, un point de la création possédait ces caractères anormaux où le grand est soutenu par le petit, où le paysage change si brusquement de nature que l'homme en perd ses repères. Rassurés pourtant ils décidèrent de pénétrer cet étrange cosmos. Mais à peine avaient-ils foulé la limite claire entre ces deux mondes qu'un brouhaha rude et répété s'annonça. Au loin un nuage de fumée s'élevait vers le ciel, des voix puissantes déchiraient l'espace. Anders semblait interdit, inerte devant ce spectacle étonnant. Des voix d'hommes ! Ils n'en avaient entendues depuis des semaines, hormis les leurs. Mais Arwin plus avisée que jamais tira son jumeau et courra se terrer derrière des buttes de chiendent. Elle sortit l'arc en ivoire que jusque là elle s'était contentée de porter et attendit l'œil concentré, tendue comme une jeune elfe. Anders ne put s'empêcher de remarquer non loin, poussant éparses et rougies par le soleil, des ronces de mûres appétissantes. Il en ressentit une honte considérable et se tut, la langue sèche d'envie et de gourmandise. 

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant