SOPHIA II

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Sophia n'attendit pas que Magistères, Juges et autres examinateurs de l'arène introduisent cette dernière phase de l'Épreuve. La quatrième époque des joutes de la république se ferait, pour l'instant, sans elle. Ordonnant à ses gardes de la suivre elle s'éclipsait de la Lance d'Or. Tout à coup une limpide évidence, un clair chemin : elle mettrait tout en œuvre pour réaliser ce dessein fort simple mais incontournable. Elle s'emparerait du « fauteuil ». Dans son sillon moines, prêtres et diacres se bousculaient pour se sentir au plus près de cette puissance éveillée. Quelques heures plus tard, malgré les combats débutant, malgré l'imminence d'allocutions et de félicitations potentielles distillées par les plus grands maîtres de ce temps, Sophia réussissait le tour de force de réunir dans le même espace Magistères du Pacifique, Juges de Menez Draguan et Chevaliers Victoriens. Oui. Sans demander son reste, présentant pour la première fois depuis des années la tablette de bois du Magistariat à l'entrée du Temple de l'Eau, elle avait fait quérir dans tout Kimôto les hommes et femmes qu'elle voulait dans les jardins du temple. C'est ainsi que, non sans quelques inquiétudes, étaient arrivés dans l'urgence certains de ses anciens pairs, beaucoup des actuels et tous ceux avec qui elle ne partageait finalement que le statut de grand de ce monde. Quand Omi, accompagné comme à son habitude du jeune Magistère Milo Acerbo, reconnut Sophia il fut fort étonné. Et pour que cet homme sans âge rompu à l'exercice d'un commandement muet, absolu depuis des dizaines d'années ne s'étonne, il fallait que les événements soient extraordinaires. Dans un sens, ils l'étaient. Attendant debout ou assis, en tailleur ou les jambes croisées, ce qu'il y avait de représentants des ordres les plus respectés de Cétherlence présents dans l'île à cause de l'Épreuve du Pacifique s'était vu invité d'urgence à se présenter au Temple de l'Eau. 

Et, chose rare, les moines-guerriers de l'entrée les avait tous laissé entrer après déclinaison de leurs identités respectives. Cela, seules quelques personnes en avaient le pouvoir véritable. En fait, mis à part le grand Omi Tajuukei lui-même, quatre êtres le pouvaient dans la totalité des Neuf Pays. Et, de ces quatre, l'un au moins avait usé de ce privilège rare. Qinn Loguard et les Juges de Menez Draguan, Cassandra et les Chevaliers Victoriens, Arthulian fraîchement revenu des monts Fan et les Magistères du Pacifique, certains Bonzes du Pays de Jun, les Protecteurs du Temple de Demetheria, l'Ordre Princier d'Iresfaneia et quelques représentants d'assemblées ordinales des autres terres du monde connu. Sophia... Pour une raison qu'il ignorait Omi savait que cette enfant, désormais mère, avait enfin choisi d'assumer son destin. Pourtant, et comme toujours, il sentait aussi qu'elle empruntait le chemin le plus difficile, le plus escarpé. Il se voyait fasciné. Elle portait au-dessus de ses attributs dorés, platine et ciel de l'Eglise de l'Aurore, la toge. Claire comme l'écume des vagues paciféennes, souple et flottante comme le vent chaud ininterrompu de l'archipel de la République. La fierté de cet Océan généreux : La toge aux reflets azurés des Haut-Magistères du Pacifique. Elle s'en était parée pour la première fois depuis quinze ans et semblait s'être habillée de ciel. Elle l'avait donc toujours gardée... Omi s'étonna aussi de la qualité du tissu resté en parfait état. Tu n'as donc jamais oublié Sophia. Arthulian cachait mal son émotion mais il se maîtrisa. Omi ne put s'empêcher de considérer qu'il manquait deux personnes à cette assemblée. Mais il le tût. Il fallait que quelqu'un prenne la parole et ce quelqu'un ne pouvait être autre que le doyen des Magistères : Omi Tajuukei. 

De sa hauteur quasi nulle face à tous ces superbes combattants il s'installa lentement sur son siège à la même arase que les autres. Les Magistères présents et habitués se lovèrent sur leurs coussins de prédilection à même le sol, formant ainsi le cercle du Haut Conseil. Les autres s'installèrent sur les sièges de bambou prévus à cet effet. Sophia debout au centre salua le Doyen, maître absolu accepté tacitement du Haut Conseil et de ce fait, l'un des hommes les plus influents de la République, donc du monde. « Sophia Justinia d'Auyn, que nous vaut ce curieux rassemblement ? Pourquoi as-tu revêtu pour la première fois depuis quinze années la toge du Magistariat que tu as délaissé ? Que veux-tu nous dire et quelle en est la signification profonde ? » La voix était douce pourtant le ton tranchant comme l'acier. Ce petit homme représentait à tous les points de vue le pouvoir des Magistères. Elle attendit un moment puis inspirant non sans concentration se lança : « Mes amis, mes frères, Magistères et Chevaliers, Protecteurs et Princes, Juges et Guerriers, je vous ai invité pour vous faire part de ma démarche et de mes ambitions... » Sophia se lança dans un exposé de la situation politique actuelle, l'équilibre fragile entre les deux camps victoriens et paciféens, la place des ordres guerrier ou religieux, l'importance de trouver une entente et les conflits majeurs en cours ou sur le point d'éclater. Par ailleurs elle pointa du doigt les récents événements inquiétants relevés par l'Empire et par la République annonçant peut-être le retour de la lune noire. La tentative d'assassinat sur la personne de la princesse Eleanor en attestait très clairement l'imminence. L'on perçut nettement Cassandra se crisper d'énervement à l'évocation de cet incident déplorable. Omi opinait du chef. Que cherchait Sophia à la fin ? Elle reprit : « Dans un climat aussi houleux la place et le rôle des ordres s'avère plus que jamais essentiel ! » 

Le Pacte du Roi Livre IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant