Malgré l'horreur que lui inspirait Sôra il s'obligea à avancer. « Ne bouge plus ! Si tu comptes attenter à sa vie tu devras me battre d'abord ! » Il leva des poings tremblant et luttant contre sa propre lâcheté se mit en garde. Sôra l'observa un instant sans sourciller puis continua à avancer comme si de rien n'était. Alors la rage fulmina en Rolann. Plus que la peur, plus que l'angoisse, il ne supportait guère qu'on le sous-estime ! Sa vie se résumait à une ombre, celle des autres. Voilà précisément ce qui animait sa frustration : le besoin de reconnaissance. Shun. Il revoyait le garçon qui toujours se démarquait, devant lui et le surclassait. Il ne pouvait l'admettre, cela allait à l'encontre de son existence propre. Il se rua sur Sôra. Ce dernier l'écarta d'un geste. Le quartz naissant du vide de sa bassine envoya Rolann à plus de deux mètres. Il s'écrasa contre le mur. Irneh se précipita. « Rien de cassé ? » Son ami se releva non sans peine. Quelle puissance... Ses membres douloureux lui rappelaient combien la dure Epreuve le avait meurtri. Une fois sur pied rien ne lui obéît plus. L'horrible terreur dans laquelle il se retrouva lui interdît tout mouvement. Il ne pourrait gagner contre un tel démon. « Monstre... » Erik se ferait sans doute assassiner dans son sommeil de même que Heather et eux, pétris de peur, assisteraient impuissants. Rolann se maudissait mais ce qui se tramait au sein de sa conscience lui commandait de fuir, de vivre. Était-ce vraiment là tout ce qu'il demeurait? Un avorton méprisable ? Ses poings saignaient de rage et de douloureuses larmes d'impuissance lézardaient son regard. Sôra s'avérait désormais à quelques mètres de la chambre. Tout semblait bel et bien perdu. Mais tout à coup l'obscurité ambiante s'éclaira de lumière et les ténèbres s'en furent. Devant Sôra apparut le Magistère aux mille visages, souriant mais strict.
Il demanda avec une sévérité insoupçonnée : « Que fais-tu ici jeune du pays de Rokku ? Ce ne sont guère tes quartiers. Rentre d'où tu viens. » Sôra le dévisagea. Il brûlait manifestement d'en découdre. Mais affronter un Magistère... Il tourna son cou presque d'un demi-cercle indépendamment du corps et lorgnant Rolann lui cracha méchamment : « Immonde froussard. » Puis comme si rien ne s'était passé il s'en alla, glissant toujours sur le sol plus qu'il ne marchait... Il ne murmurait plus de mots atroces. Quand il eut tout à fait disparu Rolann s'affaissa. Irneh resta debout mais guère plus fier. Arthulian s'approcha : « Et bien draguiens ? N'alliez-vous rien faire ? Ce garçon sent la mort... Et son funeste projet, j'en suis certain, était de finir le travail débuté dans l'Epreuve... » Rolann le savait pertinemment. Sans l'intervention d'Arthulian, Erik serait probablement en train de suffoquer étouffé et Heather déjà inerte. Il répondit : « Je le sais, je... » Irneh le coupa : « Il n'est pas normal. Il n'est pas comme nous. Comment voulez-vous que nous affrontions un tel monstre ? Nous ne possédons pas tous la gourde des Sanaa ! » Arthulian marqua un temps. Irneh avait raison, Sôra s'avérait tout sauf un être pourvu de normalité. Pourtant il y avait une vérité. Une chose qui pouvait faire flancher les plus impitoyables des monstres : « Oui Irneh. Sôra possède un pouvoir effrayant hérité des dieux des monts de Rokku. Pourtant il est une arme qui vient à bout des ennemis les plus effrayants : le courage ! » Là-dessus il gagna la chambre d'Erik. Rolann, circonspect et silencieux n'en revenait pas. Il avait fui ! Lui qui devait devenir Juge, lui qui devait changer Menez Draguan avait reculé et s'était muré derrière un autisme fiévreux à cause de sa peur. Quelle pitié... Quelle honte... Est-ce là toute l'étendue de ma détermination ? Il avait beau se parer de toutes les bonnes intentions du monde, face à des adversaires du niveau de Sôra il devait se rendre à l'évidence : il restait faible. Terriblement faible.
Rolann n'en pouvait plus de fatigue et de déception. Fatigué car ne dormant plus. Obsédé par ces yeux malades. Des yeux de dément. Déçu car comme il s'en était fort bien rendu compte lorsque ses pas avaient croisé ceux de Sorâ, en lui et depuis trop longtemps, la peur s'était logée. Un pleutre voilà ce qu'il était. Terrorisé et béat, plus rigide qu'un bloc de glace, c'est ce qu'il avait ressenti devant la volonté et l'engagement du jeune fou du pays de Rokku. Il se savait entamé, ramené à ses chimères les plus élémentaires. Il savait aussi qu'au point où il en était rien ne pouvait le détendre ou même le rassurer. Sa faiblesse le bridait, l'insupportait, l'indignait. Qu'en auraient pensé ses amis ? Iperio, Julia et Irneh ? Ce dernier en avait été le témoin pourtant. Comment tenir tête à Shun dans ces conditions ? Que manigançait ce dernier en ce moment précis ? Fier, confiant et alerte. Rolann le savait pertinemment, son ancien ami devait être à des milliers d'années de ses propres chimères. Shun... Obsédé, torturé, incapable de retrouver le calme ou la paix il décidait de prendre du temps pour marcher dans les jardins de la Faculté Universelle. Il flânait sous une demi-lune ardente depuis une bonne dizaine de minute quand ses pas le menèrent à la limite des jardins. Là, un vide conséquent fendait le sol donnant vie à un dénivelé d'une bonne vingtaine de mètres. Deux volées d'escaliers taillés dans la roche épousaient le relief à flanc de roc et invitaient le promeneur à descendre. Plus bas s'étalait l'espace dévolu aux entraînements les plus difficiles de la Faculté. Amoncellements de terre où de rochers puissants aux hauteurs les plus diverses, carrés d'herbe grasse et glissante, immenses pagodes improbables d'acier et de bois. Le tout protégé par l'épais manteau ombragé de la lisière de la forêt des dalles, épanouie elle aussi en hauteur. Quelle vision surnaturelle. De là où il se situait il pouvait sans difficulté apprécier l'océan infini qui découlait naturellement du ciel étoilé...
Une conscience aigüe de la différence de ce monde avec le sien l'étreignit. Pourtant, au travers de ces divergences il ne pouvait s'empêcher de trouver des similitudes. Et il se rendait compte non sans stupeur qu'au fond, il leur préférait les différences. Il expira avec lassitude : « Pourtant je ne suis capable de rien. Ou de pas grand-chose. Sans l'intervention du Magistère Arthulian qui sait ce qui aurait bien pu advenir de nous... Sorâ. Il n'est que meurtre et plaisir à la souffrance. » Oui. Et, justement ou pas, Rolann ne cessait de se répéter à quel point Shun s'en serait sorti admirablement mieux. Shun, lui, aurait sans doute agi comme il convenait. En tous cas jamais sa froide expression ne se serait laissée entamée par la folie d'un Sorâ du Pays de Rokku. Au fond, tout au fond de lui-même la vérité simple et dure : ce monde nouveau lui offrait des chances véritables, pourtant il se montrait passablement incapable d'en profiter. Inconsistant, il tournait le dos à son avenir bloqué par ses peurs maladives. Ce qu'il cherchait désespérément ? La force. Ni plus, ni moins... Alors que penché sur le vide il se demandait si oui ou non il descendrait, empruntant ainsi ces escaliers effrayants dépourvus de rambarde, il crut discerner une silhouette en contrebas. Il distinguait le jeu étonnant, superbe et complexe de l'ombre sur le sol minéral. En plissant les yeux il identifia un manteau blanc flottant sous le vent et une tête de félin. Le Juge Loguard ! Il fallait que le destin soit bien cynique ou au contraire bien disposé pour mettre sur sa triste route cet homme puissant, ce charismatique guerrier au visage dissimulé... Que faire ? Devait-il oui ou non le rejoindre ? Ou devait-il au contraire se terrer dans son mutisme sot ? Il n'était pas digne d'un tel homme. En plus que lui bégaierait-il ? Comment présenter la chose de ses tourments ? Une voix inconnue lui murmura d'avancer, de ne point avoir peur de la nuit... Qui? Rêvait-il ? Peut-être que oui au fond. Mais la voix dans sa tête s'exprima encore : Va ! Va Rolann de Menez Draguan. Affronte ton destin...
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Le Pacte du Roi Livre I
FantasyQuelque part dans ce monde, sur la plage de "Kotobikihama" au large de Kyoto, Rolann et Shun s'affrontent au travers d'une violente joute verbale révélant les non-dits douloureux des années passées. Nous sommes en 2011 et le pays du soleil levant v...