Je suis à ce point de rupture où l'enfant en moi s'apprête à céder la place à l'adulte. Je n'ai pas envie que cette grande personne prenne les commandes, pas si tôt ; pourtant quelque chose me dit que c'est déjà fait. « Tu es mature pour ton âge » s'étonnent mes amis. Si seulement je ne l'étais pas !
Je ne veux pas être un adulte. Ça fait peur. Je veux revenir au moment où j'étais un petit garçon ignorant, qui lisait la Guerre des Clans dans la cour et qui inventait des histoires avec sa meilleure amie. Ce gamin qui riait aux éclats quand il sentait son cœur sautiller de bonheur, qui pleurait à grosses larmes quand son doudou tombait du lit. J'ai toujours cette peluche, mais je ne vois plus la vie qu'il y avait en elle avant. Maintenant c'est seulement un petit lapin usé au fil des ans, imprégné de mon odeur, un objet dont l'unique valeur est sentimentale.
Je voudrais revenir au temps où je m'imaginais être doté de pouvoirs magiques, où je sautais du canapé à une chaise avec un cri de frayeur, voyant de la lave bouillonnante à la place du parquet. Imaginer qu'un dragon veillait sur moi, imaginer des amis avec qui j'explorais des mondes merveilleux.
Comme il était beau, comme il était doux, ce temps !
Pas d'examens, pas de culpabilité, pas de colère, pas d'angoisse. Une peau vierge de cicatrices, un esprit vide de peurs. Des yeux ouverts sur ces mondes parallèles où la magie opère.
Je voudrais être à nouveau capable de me visualiser à Asgard ou aux côtés d'Eragon, sautant dans tous les sens en combattant des ennemis inexistants. Je voudrais vivre de magnifiques histoires d'amour avec Arya, passer du côté des méchants en trahissant tout le monde, éclater d'un rire démoniaque et voir mes illusions se dissiper à la simple entente d'un « À table ! ».
Je veux à nouveau vivre un pied dans le réel, l'autre dans ma créativité.
Quand je regarde ma vie, j'ai l'impression de voir une ville détruite par des bombes. Première bombe, le divorce. Deuxième bombe, l'arrivée de l'adolescence. Troisième bombe, la transidentité. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne reste que des ruines calcinées, fumantes de cette enfance réduite en cendres, et moi au milieu, debout au centre de ces débris de vie, perdu, avec cette lancinante douleur au cœur et ce cerveau pollué de ce que j'appelle ma marée noire.
L'enfant est sans doute quelque part ici, enseveli sous les décombres, pleurant en silence, seul, détruit.
Ma mère dit que pour avoir une bonne santé mentale il faut un certain équilibre entre l'enfant et l'adulte. Mais comment on fait quand le petit est dans le coma et que l'adulte est le seul en état de maintenir cette enveloppe charnelle vivante ? Comment guérir l'enfant ?
