31 août 2024
__________Rien ne m'avait préparé à cette sensation de rentrer chez ma mère et de ne pas me sentir chez moi. Ma perception de la maison a changé, je ne m'y sens plus que comme un locataire, un invité, quelqu'un de passage. Il m'a bien fallu une demi-heure pour retrouver mon équilibre avec ma chienne, qui me semblait étrangère elle aussi. Le chat n'a pas dormi avec moi. Je suis confus dans cet univers que je ne perçois plus de la même manière, je regarde ma chambre à demi vide, les arbres par la fenêtre, les plantes dans le salon, les photos aux murs, tout ce qui a un jour, il y a deux semaines encore, été si familier que je ne le voyais plus. Quelque chose a basculé, quelque chose s'est brisé ou décalé, et mon repère le plus essentiel a glissé dans un nouvel endroit de mon esprit. Mon ancre n'est plus ici.
7 septembre 2024
__________Il m'a montré ce que c'était qu'avoir une famille. Ça fait sens maintenant. Moi qui étais à mille lieues de comprendre ce que ça voulait dire, être de la même famille... moi qui ne ressentais rien de particulier pour mes parents, qui exécrais mes grands-parents, qui aimais mon frère comme un ami... Il y a quelqu'un dans ce monde, sur cette Terre, qui est là et que je perçois comme ma famille. Il est le premier qui réveille ce sentiment en moi, qui prend cette place si particulière en moi, qui m'aime de cette façon si unique. Il est mon oncle.
J'ai presque été déçu quand il m'a dit qu'il me voyait comme l'enfant qu'il n'a jamais eu, parce que ça gâchait tout de ce lien oncle-neveu, parce que ça n'avait pas la même saveur, parce que ça m'évoquait toute la merde entre mon père et moi. Parce que j'avais envie de tout, sauf d'un autre père ; parce que ça gâcherait tout, qu'il ne soit plus tout à fait mon oncle.
Il m'a offert un endroit où je me sentais en sécurité, aimé, protégé. Il m'a offert une relation florissante dès les premiers jours, et des discussions comme je les aime. Il m'a offert qui il est, dans toute sa sensibilité, sa fragilité et sa force, ses manières d'être, son extraordinaire capacité d'amour. Il s'est montré à nu, d'emblée, en mettant sa confiance toute entière en moi dès le départ, comme un enfant, presque. Comme si la vie ne lui avait pas appris à se méfier ; ou plutôt, comme s'il avait perçu tout de suite que tout irait bien entre nous. Elle m'a ébranlé, cette confiance, et intimidé ; j'ai été secoué qu'il s'ouvre autant si vite. Alors j'ai fait de mon mieux pour lui rendre la pareille, même si je n'étais pas très causant, que je ne lui ai finalement pas tant parlé de moi, ou très brièvement à chaque fois. Deux semaines, ce n'est pas assez pour que je m'ouvre, pour que je déroule ma pensée sans qu'on m'ait posé la question précisément.
15 septembre 2024
__________Vingt-trois ans ! Je suis pitoyable, pitoyable de chez pitoyable. Vingt-trois ans. Il fume comme un pompier, il a bu chaque fois qu'on s'est vus, il traîne des casseroles dont tu n'as même pas envie d'envisager l'existence ; il gobe ses anxiolytiques comme des dragibus avec une goulée de bière, il se traîne péniblement hors de la grotte de sa dépression centimètre après centimètre. La teuf lui grignote l'intérieur, les drogues se sont fait une place de choix dans son paysage quotidien. Et il a vingt-trois ans, vingt-trois. On est tombés bien bas, Arlo, bien bas. Arya sait qu'il n'y aura rien, pourtant quelque chose au fond de moi d'obstiné et d'orgueilleux cherche furieusement à lui donner tort. Mais ça ne lui traversera pas même l'esprit, Arlo, ou alors une fraction de seconde quand tes yeux resteront dans les siens une fois de trop, une fraction de seconde vite effondrée sous le poids de l'horreur et la culpabilité, qui s'effacera tout aussi vite de son esprit. Il n'y aura rien, il n'y aura rien.
Et pourtant les ramifications de mon imagination rampent et rampent encore, tissant des futurs doux et rassurants autour de lui, de ses yeux dans lesquels il y a du vert, son visage quand ses cheveux sont attachés, ses oreilles de lutin, son sourire pointu, sa dégaine de jeune cabossé qu'on voudrait prendre dans ses bras. Il faut que je stoppe ça dès maintenant, autrement je serai coincé avec cette bulle d'amour, ou d'attirance ou je ne sais quoi, calée entre mon estomac et mon cœur. Il faut en finir, l'éclater, la poignarder, cette bulle, de vingt-trois coups de dague.