Flou, poisseux

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3 décembre 2023
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Je vais pleurer.
C'est bien, pleurer c'est mieux que de se suicider.

Je suis sorti avec mon chien pour son pipi-caca du soir, et j'ai eu une bouffée de pensées suicidaires : les bonnes vieilles images qui font « hé coucou et si tu t'ouvrais les veines sous cet arbre ? ». Je me suis mis à courir, j'ai claqué la porte de la maison derrière moi, fermé à clé, et j'ai eu l'impression que j'avais laissé les pensées dehors. Sauf que non, bien sûr. Elles sont passées sous la porte, dans les interstices, elles se sont coulées chez moi jusque dans mon crâne, entre les plis de mon cerveau.

Alors j'ai couru encore pour m'enfermer dans ma chambre. Je les tiens à distance en écrivant ça : si je me concentre suffisamment sur les mots, si je garde toute mon attention tendue vers ce texte, alors peut-être que j'y échapperai une fois encore.

J'ai mal dormi cette nuit, c'est peut-être pour ça qu'elles sont là. Dès que mon sommeil est incisé, ça leur offre une brèche. Il y a eu la discussion avec Epinard et celle avec le Soleil, aussi, qui ont huilé mon feu. J'aimerais bien que tout cela me passe au-dessus.

Tout le monde s'en fout, non ?
Ce qui compte c'est que mon cœur batte encore.

Le truc c'est que je suis constamment dans un rêve, depuis la rentrée. Quand je suis au lycée, les week-ends et les vacances me paraissent irréelles. Quand je suis chez moi, le lycée est un très lointain cauchemar. Quand je suis avec mes ami·es dans leur ville, je peine à croire que mon quotidien et mon environnement existent. Mon esprit n'est plus capable de croire à l'existence de choses qu'il n'a pas sous les yeux. C'est pour ça que le cadeau de Lou m'a fait autant de bien, parce qu'elle avait beau ne pas être sous mon nez, le temps qu'elle avait passé à faire tout ça, l'énergie et l'amour qu'elle y avait mis – son amitié, en somme – étaient bien présents. Je me sentais moins seul. Maintenant il y a cette constellation de petits mots, de dessins et de photos sur mon mur, et quand je me concentre suffisamment, ça paraît tangible, solide.

Je suis incapable de faire quoi que ce soit de mes journées. Je fais du crochet et je tricote, parce que c'est facile et n'utilise presque pas d'énergie. J'écoute de la musique de merde ou je regarde des vidéos de merde ou je pense à des trucs de merde. Et le temps passe. Lentement. Vite, parfois. Et mon estime de moi dégringole.

Il y a mes disserts qui attendent sur mon bureau, mais puisque le lycée n'est pas réel, à quoi bon les faire ? Ma part rationnelle se dit qu'on aura le temps pendant nos heures de trou, alors on ne se fout pas non plus dans la merde.

L'Ours, pendant le rendez-vous pour l'orientation, m'a demandé comment ça allait. Le lycée, d'abord. J'ai dit « bien ». Il m'a dit « et le reste ? ». J'ai dit « ça va ». Je le pensais tellement pas. J'ai scruté son regard pour savoir s'il allait y croire. Il n'a pas voulu savoir que c'était un mensonge. Il fait partie de ces gens qui préfèrent ne pas fouiller quand ils savent qu'ils vont déterrer des choses moches. Ça m'est égal. Je lui ferai bouffer des disserts trop synthétiques et il me reprochera toujours de tout faire tenir en deux pages, et personne ne s'occupera des monstres qui vivent dans ma tête ni des crises le soir. C'est pas grave. Un de ces soirs, peut-être même demain, je me buterai et je serai désolé.

randomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant