Jardin

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12 février 2024
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— Tu trouves pas ça marrant, comme on oscille entre le soleil et l'ombre ?

On est allongés sous l'arbre, toi par terre et moi dans le hamac ; les taches de lumières jetées par les arbres éclairent ton visage par intermittence.

— Si, carrément. Ton ombre à toi était très grande, Ness. La mienne, je dirais qu'elle est tranchante plus qu'autre chose.

— Je sais pas trop qui je suis.

— Moi non plus. On ne le saura sans doute jamais.

— Achille, il ne se pose plus la question.

Il est à l'autre bout du jardin, Achille, et il s'affaire. On le distingue à peine ; sa silhouette est longue et élancée, floue.

— Il est adulte, c'est différent, réponds-tu à ta propre question.

— C'est dingue qu'il existe. Je veux dire, que ni toi ni moi ne soyons passés à l'acte. Tu en es fier ?

— Non. C'est souvent une source de honte pour moi. Et toi, Arlo ?

— Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi faire de tout ça. Est-ce que je laisse cette immensité me constituer, ou est-ce que je considère que ça ne fait pas du tout partie de moi ?

— Que tu le veuilles ou non, c'est un bout de toi. Ou plutôt, ça a modifié une part de toi, ça s'est greffé à ton corps, à ton âme, et tu as grandi autour.

— Autour...

Tu me souris. Tu aimes autant que moi utiliser des mots précis et justes. Est-ce qu'Achille aussi ? J'aimerais savoir qui il est, Achille, et s'il a gardé cette fêlure qu'on aime tant.

— Merci d'avoir survécu, je te murmure doucement.

Tu souris à nouveau.

— Arlo, tu sais que ce n'est pas ça que j'ai envie d'entendre. C'est ce que tu as besoin de me dire, mais je n'ai ni envie ni besoin de ça, et tu le sais.

— Je sais, Ness, tu te hais et tu n'arrives pas à comprendre les remerciements. Ça passera, tu verras, et un jour, quand les gens qui comptent nous diront « merci d'exister », on pleurera de soulagement. Tu verras que ça peut nous toucher en plein cœur, et nous enlever le poids de notre honte.

Tu souris encore, à travers tes larmes, ta bouche de travers. Tu es beau et tu m'émeus, Ness, tout petit Ness, avec ta plaie au poignet et ton âme qui saigne, tes jambes fragiles et ta peur à l'estomac.

— On grandira et on finira par s'aimer un peu, Ness. Un peu et de plus en plus.

— Tu crois qu'Achille s'aime ?

— Je crois que oui, et que c'est tellement devenu une évidence qu'il ne se pose plus la question. Je crois qu'il chérit chacune de ses cicatrices, qu'il nous chérit, et qu'il aime son parcours, ses aventures passées, et toutes les autres qui l'attendent.

Je quitte le hamac et te prends dans mes bras, mon si cher Ness. Je sens en toi petit-Arlo, tout chaud d'enfance, qui s'exprime si souvent à travers toi. Je vous aime tous les deux tellement fort... Je vous emmènerai jusqu'à Achille, jusqu'à ce que nous ne fassions plus qu'un, tous les quatre.

randomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant