Mort (n.f.) : fin définitive de la vie

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5 mars 2024  -  TW : mort sous beaucoup de ses formes. Candle, crois-moi, tu n'as pas envie de le lire celui-là.
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Addict with a pen
Car radio
Friend, please
(twenty one pilots.)
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Aujourd'hui, ma chienne Delva m'a rapporté un lièvre mort, entier. Elle a dû lui briser quelques côtes en le transportant, mais à part ça, il était intact. De grands yeux ambrés, fixes, dans lesquels une toute petite once de peur se laisse apercevoir. Ont-ils peur lorsqu'ils meurent tués par un prédateur, les animaux ? Ou acceptent-ils simplement leur destin et la fin de leur histoire ?

Il était très froid, ce lapin. Froid et rigide. Je lui ai soulevé les lèvres pour voir ses dents. Elles étaient très blanches, très droites, toutes là. Sa petite langue rose se montrait. Je n'ai pas réussi à lui ouvrir la gueule – je n'ai pas non plus osé forcer. J'ai voulu lui plier les pattes, observer ses articulations, et je me suis heurté au deuxième aspect d'un corps mort, outre son froid : tout est raide. C'est vrai, ce qu'on dit sur les morts. Ils sont froids et figés, immobiles.

Je l'ai soulevé par les oreilles pour le transporter, le lièvre, et je me suis étonné de la solidité de leur attache à la tête. On peut vraiment transporter un lapin par les oreilles.

Delva était assise sagement et fixait sa trouvaille ; elle attendait que je la lui rende. Je ne l'ai pas laissée le récupérer, parce que de une c'est très intéressant d'avoir un cadavre à portée de main, de deux Neon voudra peut-être récupérer le squelette, et de trois les os pourraient lui perforer l'estomac, et on va éviter une excursion chez le véto.

Je crois qu'en fait, je vais me démerder pour récupérer les os moi-même. Je ne sais pas ce que j'en ferai. Ça m'occupera, en tous les cas.

J'ai récupéré une plume par terre – une jolie plume en camaïeu de gris, une plume de ramier – et j'ai songé à mes poules que le renard a emportées. J'ai cherché leurs plumes à elles, dans le jardin, là où il y a un mois un tapis de leur duvet parsemait l'herbe. Elles étaient parties. Se sont-elles décomposées si vite, ou des insectes sont-ils venus les grignoter ? Des fourmis, peut-être ? Peut-être qu'un oiseau ou un rongeur les a récupérées pour faire son nid, bien que ça ne soit pas encore la saison.

Je me suis souvenu de ma terreur à sept ou huit ans, quand j'ai pris conscience que j'allais mourir un jour et que personne ne savait ce qu'il y avait derrière. Je me suis souvenu de cette peur viscérale qui me donnait des sueurs froides et des crises d'angoisse le soir, entre les draps froids chez mes grands-parents. J'étais parfaitement incapable de m'endormir tant j'avais peur de ne pas me réveiller, et de rester dans ce néant pour toujours. J'avais la nausée au dîner, lorsque la nuit s'approchait sournoisement et que j'anticipais déjà ma peur. J'imagine que cela signifiait que j'avais conscience de la valeur de la vie. Si on ne tient pas à la vie, on se moque bien de la perdre, n'est-ce pas ? Du haut de mes huit ans, je parcourais toutes mes capacités, mes sens, mes talents, mes plaisirs, mes joies, mes espoirs, mes rêves, mes projets, et j'étais tétanisé à l'idée de les perdre. Je me souviens que la vue était ce qui revenait le plus souvent. Je tenais tant à ma vue. Je me passais et me repassais des images des fleurs dans le jardin de mes grands-parents, de cette pauvre haie que j'avais taillée en brosse, des graviers blancs de l'allée, des hauts sapins et des lignes dans les grandes mains rassurantes de mon père.

Ma mère a acheté un livre sur la mort, quelques mois plus tard, et on l'a lu ensemble. À partir de là, ç'a été. Je n'avais plus peur de la mort, ou du moins plus autant. Mieux encore, j'étais devenu curieux de la mort, de comment ça serait, de ce que j'y trouverais. Tout cela m'a appris que face à l'inconnu, on a le droit d'avoir peur, cependant la curiosité est bien plus agréable à ressentir et tout aussi légitime.

Je pense régulièrement à la mort de Delva. Lorsqu'elle se sauve et que je l'imagine écrasée par une voiture, ou bien lorsqu'elle ne mange pas pendant quelques jours et que je me dis qu'elle est malade et va mourir. Parfois je projette simplement sa mort de vieillesse, dans quelques années. Souvent, je me convaincs que je resterai indifférent. Je me fais rire, à tenter de me protéger de cette manière. La vérité, c'est que je ne parviens pas à me représenter une vie sans elle. Ou sans la chatte, for what it's worth. Je me souviendrai toute ma vie de cette après-midi où je l'ai serrée contre mon coeur, la chatte, où j'ai plongé mon nez dans son cou pour humer férocement son odeur, et où je lui répétais entre chaque sanglot qu'elle n'avait pas le droit de mourir.

Aurais-je eu la même curiosité morbide que j'ai eue avec le lièvre, si ç'avait été ma chatte que j'avais trouvée morte ? L'idée de l'ouvrir et de regarder ses entrailles m'effleurerait-elle aussi ? Je devrais parler au futur, pourtant je n'y arrive pas. Ma chatte, mourir un jour ? Quelle drôle d'idée. Tout le monde sait que les chats ont neuf vies. La mienne les passera toutes les neuf auprès de moi. Un chat vit quoi, dix-sept ans ? Dix-sept fois neuf, ça fait cent cinquante-trois. Très bien, je serai mort depuis longtemps, alors elle pourra mourir aussi.

Il y a eu des fois où j'ai songé à la mort de mes ami·es. Souvent celle de Svalbard. Je crois que la triste conclusion est que je me passerai plus facilement d'un·e humain·e que de ma chienne ou ma chatte. Ou alors, c'est encore une manière de me blinder. Ça n'empêche que je les aime fort et que je n'ai pas la moindre envie qu'iel meure, Svalbard ; et même, égoïstement, je voudrais bien qu'iel reste en vie juste pour moi.

Cela dit, Candle m'a donné un aperçu de ce que je pourrais bien ressentir si quelqu'un·e mourait. Ça doit faire plus de deux ans maintenant, pourtant le souvenir est toujours aussi vif. Ces messages avant mes deux heures de physique.
Je les ai retrouvés à l'instant.
Pour le plaisir.
Tu te souviens d'à quel point on s'est fracassés l'un l'autre, ce jour-là ?
Le 25 novembre.
Un jeudi, quel hasard.
Je le sentais venir si fort, dans mon estomac, pendant ce cours de physique sur l'optique – qu'est-ce qu'on s'en fout de l'optique, franchement. J'avais la nausée, le cerveau focalisé sur toi. J'étais un enfant modèle alors je me suis dit ta gueule au lieu de sortir du cours, et j'ai attendu la fin.
J'ai lu tes messages. C'était absolument silencieux en moi tant la terreur prenait de la place. J'ai tracé jusqu'à la cour, en t'appelant. Je ne saurais dire combien de fois je t'ai appelé. Juste une, ou un milliard de fois ? Je ne sais plus. Seule comptait la peur en moi, immense, monstrueuse, sans égale encore, pire que la peur de mon père, pire que la peur de ma propre mort à huit ans, pire que la peur qu'Epinard ne m'aime plus jamais, à l'époque.
Tu te souviens de la violence de tes paroles, quand tu as daigné répondre ?
Je t'ai mal parlé aussi, c'est certain, mais je ne crois pas que tu aies mesuré un seul instant l'immensité de ce que tu m'avais infligé.
Est-ce que je t'en veux ?
Je saurais pas te le dire.
Sur le moment je t'en ai voulu. Je t'en ai plus voulu d'avoir essayé de mourir que de tes paroles ensuite.
Je m'en veux, aussi, de tout ce que j'ai pensé sur le moment. De m'être dit putain, ce con il s'est quand même coupé dans le bon sens ? Pourquoi il dit que ça n'a pas coulé ? D'avoir pensé à mon propre suicide, et m'être dit que merde, ça peut ne pas fonctionner ? Comment ça mon reuf ?

J'ai enregistré le numéro de ta mère et je n'ai pas dormi pendant une semaine.
Je me suis dit que si tu y parvenais un jour, alors je le ferais aussi.

Six mois plus tôt, il y avait les soirées chez mon père à contempler la rue en contrebas des fenêtres de ma chambre, il y avait la tentation, il y avait la brise légère de juin, il y avait les voitures qui passaient en hurlant, il y avait les passants flânant là, ignorant la mort qui s'insinuait dans la tête du garçon à sa fenêtre. Il y avait aussi la morsure d'une lame dans ma chair, tellement souvent, et ces lignes verticales à l'ongle ou au feutre sur mon avant-bras. Au bic, souvent, en suivant les veines comme Matt – ça m'apaisait et m'apaise toujours de le faire.

Est-ce que le suicide reviendra tous les automnes ? Seasonal depression ?
Purin.

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