Epiphone

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26 avril 2023
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Il est temps de parler un peu d'Epiphone. Imaginez-vous un adolescent qui vient de sortir de sa poussée de croissance : il est aussi grand que mince, il lui reste à s'élargir avant d'être fini. Il a des yeux sérieux d'enfant qui n'en est plus un, bruns et doux par moments, dans lesquels danse toujours une petite flamme ténue. Son sourire est une fente asymétrique (j'ai un faible pour les sourire asymétriques ah la la), qui monte rarement jusqu'à ses yeux : il en faut beaucoup pour l'amuser profondément. Ses cheveux sont d'un blond parfait qui adoucissaient son visage avant qu'il ne les coupe et qu'ils servent juste de couvre-tête – mais il a dit qu'il voulait les laisser pousser alors tout n'est pas perdu. Il est un peu voûté, ses gestes sont précis et maîtrisés, il fait partie de ces gens qui font corps avec leur guitare, comme les Gentils. (Je vois précisément ce que je veux dire mais sans doute pas vous : tant pis.)

Je connais Epiphone depuis un an et demi, et il est passé au premier plan à mes yeux il y a un an, quand je me suis détourné de Miller. Il a pris de l'importance le jour où l'Étoile s'est emparée de son attention à lui – étonnant, comme on ne réalise toujours la valeur des gens et des choses que quand ils nous échappent. Cette année, il a lutté avec Pichenette pour occuper mon cerveau, même si bien sûr il ne fait pas le poids face à la solution à mes daddy issues. Bref.

Epiphone est galant, un peu vieux jeu sans doute, et à chaque geste de gentleman je me sens comme un racoon avec un haut-de-forme, une fraude monstrueuse. Epiphone est dans le monde que j'ai quitté, le monde de l'importance et des manières à table et des apparences. Ça me met mal à l'aise parfois, ce qu'il me renvoie de ce que j'ai connu, les souvenirs qu'il déterre sans le savoir et les colères qu'il ravive. Il y a pourtant quelque chose de terriblement attirant chez lui, qui vient peut-être du fait qu'il me fait un peu penser à Archibald dans la Passe-Miroir.

Je ne sais pas comment Epiphone me voit, et ça m'intrigue sans que je puisse avoir une réponse pour l'instant. Est-il aussi sympathique pour les apparences, ou par sincérité ? Aucun moyen de le savoir, alors je préfère me dire que c'est sincère. Il me voit sans doute comme une connaissance pas méchante qui est bassiste donc cool (il surkiffe les bassistes c'est marrant). Si j'avais de longs cheveux et des vêtements féminins, il me verrait différemment, il m'envisagerait sûrement plus comme je l'envisage.

Epiphone me fait rêver. Il est la fenêtre ouverte sur une vie normale, il est la fente dans le bois qui me fait entrevoir un monde imaginaire où je suis une fille qui aime les garçons et aura un métier stupide et des enfants pour qui elle sacrifiera sa carrière et sa vie personnelle. Il me fait m'imaginer à ses côtés, dans cette vie qui n'existe pas, il me fait nous représenter dans toutes ces situations atrocement genrées qui nous donneraient l'illusion du bonheur. Epiphone est synonyme de cet univers parallèle dans lequel je suis normal. C'est absolument fascinant de laisser mon cerveau imaginer et réfléchir à tout ça. C'est amusant, de voir tous ces écrans de fumée apaisants dans lesquels rien ne sort de l'ordinaire, rien ne surprend ni ne blesse.

Puis vient le retour à la réalité, et c'est toujours rassurant de voir que je suis là, avec mon corps pas comme il faut, mon anxiété et ma colère, les voix dans ma tête, mes fous rires solitaires et mes manies insupportables pour l'extérieur, ma musique et mes écrits, mes dessins et mes cris dans les champs. Epiphone me fait me souvenir que je suis bizarre et que c'est formidable de l'être, que j'ai une chance inouïe d'être à côté de la plaque.
C'est sans doute pour ça que j'aime autant Epiphone et ses dehors lisses. En attendant, il ne devrait pas se passer grand chose.

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