13 décembre 2023
__________Il y a un océan de soleil dans mes souvenirs d'enfance. Les couleurs chaudes reviennent tout le temps, tout le temps. Le parquet usé. Les œufs à la coque du mercredi midi. La vigne sur le mur d'en face, rouge vif en automne. Les rideaux de notre chambre. Il y a cette image en particulier, où je sors à peine de la cuisine ; j'arrive dans le salon et les fenêtres, immenses, laissent cet océan doré se déverser chez nous.
J'ai très peu de souvenirs de nous à quatre. Mon père travaillait beaucoup et ma mère avait pris un temps partiel pour s'occuper de nous. J'ai des souvenirs de ma mère et nous à la maison, et de notre père et nous dehors. Étions-nous si imprégnés de culture patriarcale ? L'homme qui montre le monde extérieur, la femme qui reste à l'intérieur... Les deux enfants, la famille parfaite. On était heureux, je crois. Nous, les enfants. Nos parents, c'était autre chose. On ne s'en rendait pas compte : on était si petits, on n'avait pas encore appris à être trop attentifs aux autres, ni à se sentir responsables de leurs émotions. On pensait que les adultes étaient ainsi.
Je me me souviens de mon père qui nous emmenait à l'école, juste au bas de la rue. Lui qui donnait des coups de pied dans les portières des voitures qui passaient sans nous laisser traverser, et qui gueulait « bah alors, t'en as, des freins ! » quand la voiture s'arrêtait pour lui crier dessus. Ça nous faisait rire. Je me souviens du jour où il a pris une fiente de pigeon sur le visage, sur ses lunettes et sur son costume de travail. Il était prêt à râler mais il a choisi de rire à la place. C'est fou, tout ce qu'un enfant remarque. Les adultes ne s'en rendent pas compte, ils préfèrent l'ignorer.
Je me souviens de ma mère épuisée qui nous tenait à bout de bras. Ça aussi, bien sûr, je le remarquais. On se tenait à carreau, mon frère et moi. On ne voulait pas ajouter à sa charge mentale. C'est marrant comme les choses sont restées les mêmes.
Je me souviens de quand mon père partait en déplacement pour son travail. Mon frère et moi, on s'accrochait à ses jambes, il nous traînait par terre en riant. On ne voulait pas qu'il parte. On rigolait, mais...
Je me souviens de marcher avec mes petits pieds sur ceux de mon papa, lui tenir les mains et rire aux éclats avec lui. Il avait des chaussons noirs en un espèce de cuir, ses mains étaient chaudes. Elles sont toujours chaudes, les mains de mon papa.
Je me souviens des nounous qu'on a eues. Je me souviens des soirs où aucun de nos parents n'étaient là, et où on dînait avec notre baby-sitter. Je me souviens d'un soir où j'avais planté ma fourchette dans mon yaourt pour percer l'opercule, et ça avait traversé le pot sur le côté. Quel fou rire on s'est tapé, mon frère et moi... Je me souviens des choses qui se mélangeaient dans ma tête d'enfant : Line qui était suédoise, et pour moi le chocolat Lindt était suédois (pas du touuut, d'où est-ce que j'ai sorti ça ?) donc j'avais l'impression qu'elle était l'incarnation du chocolat ou je ne sais quoi (on ne s'ennuie pas dans ma tête, je vous jure). Je me souviens d'Anna qui nous racontait des histoires en anglais, tous les trois perchés sur le lit superposé.
Je me souviens de la télé énorme, le genre qui n'existe plus maintenant, et que j'ai eu la chance de connaître. Je me souviens des dessins animés qu'on regardait en deux fois et qui étaient si rares !
Je me souviens du trajet en train avec notre grand-mère, on était tout petits... On n'avait aucune occupation, aucune. On est restés sages, on y est arrivés. On était sages, comme enfants, sages et bien élevés, le genre de gamin qu'on peut montrer en société sans problème. On en est reconnaissants maintenant, mon frère et moi. Quand on voit ce que les enfants d'aujourd'hui sont devenus.