Elle va mourir

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26 novembre 2023
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Cette photo me fait trop rire

J'aime quand c'est la pleine lune ou presque et que je n'ai pas besoin de lampe de poche pour sortir avec elle.
J'aime quand je dois casser la croûte de glace de la mare pour qu'elle boive, et quand elle croque les plaques gelées.
J'aime son trot léger, sa queue battante, sa truffe au sol.
J'aime parcourir ce même chemin matin et soir et savoir qu'il n'a pas changé depuis qu'on est là, et qu'il ne changera pas tant que nous serons là.
J'aime regarder les étoiles pendant qu'elle renifle.
J'aime la regarder.
J'aime qu'elle m'appelle au jeu alors même qu'elle n'a plus rien d'un chiot.
J'aime qu'elle aime courir et que je puisse lui offrir cette liberté-là.
J'aime le fait qu'elle urine au même endroit que lorsqu'elle était toute petiote, et qu'elle ait ses habitudes tout comme j'ai les miennes.

Ce soir, j'étais fatigué, je partais dans des films irrationnels, et je nous imaginais vieux ensemble, elle et moi, marcher sur cette même route. Sauf que ça n'arrivera pas. Lorsqu'elle sera vieille et rouillée, je serai encore jeune, pas même encore au summum de ma jeunesse. Lorsqu'elle mourra, j'aurai la vie devant moi. Une vie sans elle.

J'ai dû le dire un milliard de fois, mais un chien, c'est un être extraordinaire. Les émotions qu'il offre et procure sont uniques et tellement précieuses... Se promener avec son chien, le voir tout content, courir avec lui et rire aux éclats, tout simplement, parce qu'on est heureux à deux et que tout est facile avec un chien. Faire des câlins et sentir cette réserve d'amour inépuisable qui se déverse en permanence tout autour de lui. Lui gratter sa grosse tête et plonger dans son regard. La laisser me pousser du museau, me donner sa patte impatiemment, quand elle estime que le câlin a été trop court.

Il n'y aura pas de vieillesse ensemble.
Il y aura sa vieillesse à elle, et je sais que ça sera un déchirement, quelque chose d'affreux, où je ne serai pas certain d'y survivre - encore une fois. Moi, j'aurai grandi, je ne vivrai même plus avec elle puisque j'aurai quitté le nid familial.
Non... Dès que j'aurai suffisamment d'argent pour me tirer du Crous, je nous trouverai un studio, même pas plus grand, il faut juste qu'ils acceptent les chiens. Et on fera de longues et belles promenades très tôt le matin ou tard après mes cours, et on se promènera en ville, et on visitera des parcs ensemble, et le week-end on prendra le train pour aller à la mer. Ensemble. Mon chien et moi.

Je raconte tout ça, et je sais que ça ne sera pas possible. Je n'aurai pas assez de temps pour qu'elle soit heureuse. Et l'enfermer dans un minuscule appartement pendant toutes mes heures de cours, la priver des grands espaces auxquels elle est habituée...? Ça serait cruel, si je veux être objectif. Alors peut-être que dans quelques années, quand elle touchera à la fin de sa vie, que ses pattes seront raides et qu'elle rechignera à faire de grandes balades dans les champs, alors peut-être que je reviendrai chez ma mère, pour un moment de césure ou quelque chose comme ça, et que je serai avec elle, simplement avec elle. Peut-être que je serai suffisant et qu'elle sera comblée. Peut-être qu'elle sera heureuse de me retrouver au quotidien.

Aurai-je envie de reprendre un chien, ensuite ? Sûrement pas tout de suite, ça sera trop douloureux. Peut-être bien que j'en aurai pris un avant même qu'elle ne s'en aille. Peut-être que j'aurai trouvé un endroit idéal pour elle et moi, et que ses dernières années, elle les passera avec moi. Rien qu'avec moi. C'est égoïste, je crois bien, de la vouloir rien que pour moi. Il y a ma mère aussi. Mais je crois que ma mère n'est pas capable de refléter à notre chienne l'amour inconditionnel qu'elle nous offre. Je ne crois pas que ma mère puisse faire des compromis ou des efforts pour le chien. Je crois que je pourrais vivre dans la rue si ça me permettait de l'avoir avec moi. Mon otarie. Mon otarie des neiges.

randomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant