6 janvier 2024
__________C'est marrant ce que le temps fait à un enfant. Un jour il est tout petit, il gambade dans un parc ; et en un battement de cils il est immense, voûté, les paupières lourdes et les coins des lèvres résolument inertes. Il a dans ses yeux l'air sérieux, triste, mort des adultes. Il parle d'assurances, de travail, de trouver un logement et de « se ranger », trouver une compagne. Il n'y aura plus les goûters devant une vidéo rigolote, à rire comme des baleines ensemble ; il n'y aura plus les discussions sur l'existence qui durent une nuit, parce que ces questions-là auront été remplacées par les préoccupations de quotidien.
Le temps grignote les sourires, la légèreté, l'amour et la joie. Les couleurs passent, les étincelles fanent ; il n'a plus le temps de se demander comment exister. C'est sans doute une bonne chose pour lui, c'est plus paisible peut-être. Il n'a plus les angoisses de minuit qui lui tordent les entrailles, il n'a plus les assauts de ses propres pensées contre son âme. Le vide a quelque chose d'apaisant, je le conçois.
Il me laisse entrevoir les personnes que nous serons, eux et moi, d'ici deux ans. Mornes et fades malgré nous, malgré toutes nos promesses et nos espoirs d'enfants. On se dit qu'il ne tient qu'à nous de rester enfants au fond ; pourtant je crois que ça nous échappera au final. On se réveillera un matin et on n'aura pas ri depuis des semaines, on ne sera pas sortis se promener depuis deux mois, on ne se sera pas appelés depuis une éternité. On aura perdu nos petites particularités colorées : s'allonger par terre, aimer des petites choses, visiter des parcs, apprendre le crochet, composer de la musique, écrire des trucs, créer. On sera vides, nous aussi, inexorablement.