Encore Rudy !

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6 janvier 2023
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Mon cœur s'est arrêté quand tu as prononcé ces mots. Je vais les écrire tant qu'ils sont clairs dans mon esprit, histoire que futur moi se représente ça plus clairement :

« J'ai pas trop réagi... enfin j'ai pas réagi sur Discord mais... du coup tu préfères Arlo ? Qu'on t'appelle Arlo ? »

Et tes yeux brillaient et tu souriais un peu, comme toujours, mais il y avait quelque chose de plus dans tes yeux. Quelque chose qui disait « ça me tient à cœur de faire ça correctement » ; quelque chose qui me faisait me sentir unique à tes yeux, enfin.

J'ai dû rougir comme une pivoine, je m'y attendais si peu. Je pensais que tu me parlerais de musique, du stage de sono la semaine prochaine, de n'importe quoi d'autre. Je t'ai cru plus bête que ce que tu n'es, je crois, ou moins perspicace.

J'ai bafouillé beaucoup, j'ai fait des bouts de phrases, j'avais envie de tout te raconter d'un coup, de t'expliquer tous les détails de cette histoire de prénoms. J'ai pensé à dire la vérité, puis j'ai pensé à l'explication Viol+haine, puis j'ai tout ravalé et j'ai bégayé un « oui je préfère Arlo, ah ça oui », et tu as ri dans ta tête suffisamment fort pour que je l'entende, et tu m'as répondu que tu pouvais pas deviner que c'était si important pour moi, que tu pouvais pas lire dans mes pensées. Puis tu m'as dit « tu sais, je m'en fous moi, du prénom que tu utilises ; je te tends juste une perche comme ça ». J'ai paniqué. J'ai paniqué encore parce qu'il y a cette peur, il y a ce « il y a tant de gens qui ne s'en foutent pas, Rudy ».

(Je tremble beaucoup wouah)

Tu m'as dit que c'était l'occasion d'en parler au groupe, que ça irait. J'aurais voulu te faire un câlin. Ou avoir un câlin de Lou parce que ses câlins font le silence dans ma tête. Bref.

Tu avais ce ton tellement banal, que tu utilises pour tout et n'importe quoi, celui que tu as utilisé le soir de Tankus quand on a parlé d'E, aussi. Ce « je m'en fous » qui veut surtout dire que tu ne veux te mêler de rien. Je me demande ce qui se passe dans ta tête quand tu utilises cette phrase sur ce ton, Rudy.

Je t'ai dit que je préférais Arlo, « mais ma mère existe et elle ne s'en fout pas, elle ».
Tu as essayé de me pousser à parler, je l'ai vu après-coup. « Et qu'est-ce que t'en penses ? » Stupide Arlo. Voilà une magnifique occasion de t'ouvrir un peu, que tu as tout aussi magnifiquement ratée. Je n'aurais pas dû éluder d'un « je trouve ça stupide » puis partir sur autre chose. Putain, Arlo, un peu de sang-froid, merde.

Et ton regard sur moi pendant la répétition, tout le temps, ces étoiles dans tes yeux, ce foutu sourire. Je me demande à quel moment je me mettrai à détester tout ça. C'est inévitable, non ? C'est un plaisir d'être objet d'attention, d'avoir ce poids sur mes épaules, pendant quelques semaines ; mais dans quelques mois, quelques séances seulement peut-être, n'en aurai-je pas assez de cet espèce de petit manège, qui est étouffant au final ? Ne vais-je pas finir par te trouver trop attentif, trop toi ?

J'ai eu peur en te regardant droit dans les yeux tout à l'heure, aussi. J'ai pensé très fort à petit-Arlo. Je crois que c'est lui qui nous fait tous trembler pendant qu'on écrit ça. Arlo-2021 et lui sont sous le choc pour des raisons complètement différentes. Petit-Arlo il a regardé au fond des yeux de son papa de cœur et ça l'a remué, parce qu'il avait vu les mêmes choses dans les yeux de son papa biologique. Et Arlo-2021, eh bien il vit dans la peur d'être découvert. Il est en hypervigilance, il regarde de tous côtés sans parvenir à se poser, sans parvenir à faire confiance à qui que ce soit. Il se prend des coups de poings dans l'estomac à chaque fois que quelqu'un devine quelque chose sur nous, ou aborde un sujet personnel sans qu'on s'y attende. Comme avec l'ostéopathe.

Et moi, je crois que je reste sidéré par mon manque de recul sur l'instant, et fasciné par ce qui se passe dans ma vie, par la personnalité de Rudy, par ce que je remarque chez moi.

Voilà un nouveau truc sur lequel travailler : apprendre à me détacher autant de cette histoire de prénoms que ce que je voudrais. Il faut que je m'arme de courage, mais ça va aller. Ça va aller. Si je trouve une occasion, je commencerai par en parler au groupe. Puis on verra pour le reste.

Ça va aller :)

Il y a aussi cette drôle de sensation chaque fois que tu prononces mon prénom. Un sentiment d'interdit qui me donne une décharge d'adrénaline et qui me met aussitôt sur le qui-vive, dans l'attente d'une réaction des autres qui ne vient jamais. Il y a toujours quelque chose d'étrange à entendre des adultes dire mon nom, comme si je trahissais l'interdiction muette de ma mère...

randomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant