11 mai 2024
__________
C'est la première fois de ma vie qu'il y a un fil conducteur entre mes rêves. C'était le troisième, cette fois, et il n'y avait rien de sexuel. On aurait juste dit deux gens paisiblement amoureux qui vont en date. C'était calme, et il avait l'air plus heureux que les autres fois.
Si je croyais aux vies parallèles et passées, je croirais qu'on s'est connus à un moment où à un autre, qu'on a fait un bout de chemin ensemble, qu'on s'est aimés longtemps. Dans un autre monde.
Je le contemple à travers la salle de classe, à travers la cour, j'ai mon menton dans mes bras et je détaille son sourire, ses cheveux qu'il n'a toujours pas coupés. Son teint d'olive malade. Parfois il y a son regard dans le mien et je reste désemparé. Il me fait penser à mon frère, souvent ; mon frère d'il y a trois ans, tout cabossé, pluvieux et orageux à l'intérieur.
Je voudrais me défaire de ces rêves à répétition, et d'un autre côté ils sont agréables. Si on suit la théorie de Freud, je sublime en rêves la pulsion qui me dit de voler au secours d'Icare dans la vraie vie, d'être là pour lui.
Si je lui envoie un message abrupt et intrusif comme je meurs d'envie d'en envoyer, que se passera-t-il ? La fin de l'année est proche, non ? Non mais, ça ne se fait pas. Je ne peux pas lui dire « qu'est-ce qu'ils te font, exactement, tes parents ? » alors qu'on ne s'est plus ou moins jamais parlé.
Au début de l'année, on a eu l'occasion de discuter : on était seuls dans la cour en allant dans la même direction. À l'époque je crevais d'envie que ça soit l'Ourson à sa place, alors qu'aujourd'hui je donnerais n'importe quoi pour avoir une aussi belle occasion de lui rentrer dedans. Mon Icare.
Je lui dirai peut-être simplement qu'il peut m'appeler s'il en a besoin un jour. Parce qu'on a tous besoin qu'une personne nous dise droit dans les yeux qu'elle est là, et sera là, quand il faudra. Peut-être que personne n'a encore dit ça à Icare, et que ça lui manque. Peut-être que je peux rendre service rien qu'en lui montrant que les gens le voient. C'est dur de se sentir passer inaperçu. C'est probablement parce que je fais attention à lui qu'il met ses yeux dans les miens si souvent.
Qu'est-ce qu'ils lui font, ses parents ?
