25 novembre 2022
__________Dans mon groupe, on m'a demandé de chanter pour des chœurs. J'ai voulu m'en tirer en disant que je chantais faux, mais Rudy (le « prof », si on peut appeler ça comme ça) n'est pas dupe et il m'a fait chanter. Donc j'ai tenu une note quelques secondes, juste assez longtemps pour qu'il comprenne que le souci n'était pas que je chante faux, et puis ma note a dégringolé dans les graves et est morte sur mes lèvres.
Je suis capable de chanter. Simplement, je me suis habitué à chanter une demi-octave trop grave, alors ça sonne faux. Parce qu'en même temps, ma voix aiguë me donne envie de me taper la tête contre les murs. Elle me ramène à mon corps, à mon statut de « fille ». C'est comme si elle me faisait un petit sourire triste en disant « le prix à payer pour chanter juste, c'est une soirée de dysphorie ».
C'est terrible, quand même. J'ai essayé de chanter à l'octave plus basse, mais pour le coup je ne suis pas capable de chanter comme ça, ça me défonce les cordes vocales.
Alors maintenant quand arrive le moment des chœurs dans cette chanson, je baisse les yeux et je serre les lèvres, en m'engueulant gentiment parce que je ne devrais pas être aussi coincé. Et puis je sens le regard de Rudy sur moi. C'est difficile, de le sentir me regarder quand je sais que j'ai tant envie de lui faire plaisir et de le rendre fier mais que je n'arrive pas à m'y forcer.
(J'ai toussé et mon chat a fait un bond de surprise jusqu'au plafond.)
En plus de ma dysphorie, il y a les autres gens dans la pièce. Outre Rudy et ses espoirs muets, il y a Verte qui ressentira une pointe de plaisir à me voir dans la même galère qu'elle ; il y a Alicia pour qui c'est tellement simple de chanter qu'elle ne comprend pas les difficultés des autres, et me manger une de ses remarques impatientes me broierait le cœur ; il y a Florian, Yann et Mathilde dont je perçois les encouragements silencieux – ce qui devrait me booster mais me bloque encore plus parce que je sais qu'ils m'écoutent attentivement.
Alors oui, j'ai fait des progrès par rapport au regard des autres. Certes, je me libère de plus en plus. Mais chanter en public, c'est trop tôt, c'est trop personnel, c'est trop difficile. Je crois que je vais continuer à m'entraîner en vérifiant la justesse de ma note avec un accordeur, et puis je verrai plus tard pour le reste. Si je prends un traitement hormonal, peut-être, ou si ma voix devient grave par magie !