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14 décembre 2023
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C'est peut-être la période de l'année qui me fait me tourner vers le passé en ce moment ; peut-être que c'est complètement autre chose. Peut-être que c'est la fin de tout.

Je dis et écris de jolies choses qui me semblent assez. Je laisse ce que je lis me toucher au plus profond de moi-même : Woolf m'a presque fait pleurer, l'autre jour.

J'écris des lettres d'amour magnifiques, elles sont imprégnées de mes cours de philosophie – surtout Tournier et Badiou : j'imagine que j'aime leur romantisme, leur point de vue idéaliste. J'ai l'impression qu'ils me promettent que tout ira bien et que l'amour peut être calme, confiant. Elles ne sont destinées à personne, ces lettres. Elles glissent dans l'absence, elle se désagrègent au fond d'un tiroir faute d'être lues, relues, chéries, gardées précieusement.

Je ne crois plus en grand chose, il me semble. Je ne crois plus à l'amitié puisque tout s'effrite, je ne crois plus à mon futur puisque je serai toujours la même personne, je ne crois pas au fait que tout rentrera un jour dans l'ordre, car la nature a horreur de l'ordre. Je ne crois plus à aucune forme d'amour, ni de relation : tout est vain, tout s'évapore, rien ne dure ni ne marque à vie. Je suis une toile blanche sur laquelle mes expériences laissent d'invisibles traits, blancs eux aussi.

J'oublie d'arroser mes plantes et de réviser ma basse, je bâcle mes travaux de philosophie, parce que rien ne réveille en moi de plaisir endormi, pour reprendre les mots de Beauvais dans Songe à la Douceur. Je ne réfléchis pas à mon avenir, je me moque de tout foutre en l'air : à quoi bon ?

Tout ce qu'il me restera de cette vie si je meurs cette nuit, c'est un vague amas de couleurs et de luminosités fades sur un fond d'angoisse sourde.

Merde alors, ce chapitre avait commencé positivement. Comment je me retrouve à chaque fois face à ce vide existentiel ? Comme ce matin, quand on jouait à crier ce qu'on n'aimait pas.

— J'aime pas les gens de mauvaise humeur !
— J'aime pas les voitures moches !
— J'aime pas les contrôles surprises !
— J'aime pas la mauvaise bouffe !
Ça a vite dégénéré, et je me suis retrouvé à hurler des « J'AIME PAS MA VIE ! JE M'AIME PAS ! J'AIME PAS AVOIR L'IMPRESSION D'ÊTRE CAPABLE D'AIMER PERSONNE ! » Et elles me regardaient médusées et riant nerveusement et je riais tellement. Comme hier, quand j'écrivais que l'humain n'a pas de nature, qu'on n'a pas d'identité, que la réalité existe mais que personne n'y aura jamais accès alors peut-être bien qu'elle n'existe pas vraiment au final. Suis-je censé avoir mes meilleurs fous rires quand je suis seul, seul face à mon vide, seul face à mon espèce de spleen nauséeux ? Je pourrais m'ouvrir les veines en riant. Ça me ferait rire, le sang sur ma peau. Je ne ressentirais pas grand chose. Une vertigineuse sensation d'interdit, héritage de notre éducation inévitablement chrétienne, une culpabilité à peine perceptible. Le vide.

C'est marrant d'être dans cet état. C'est marrant d'en être au point où tout nous est égal.

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